Mots qui vaillent...
Samedi 30 Juillet 2022
Ça va peut-être hurler dans les chaumières… Du moins dans les rangs du fond de la classe.
Je ne sais depuis quand exactement ni sur quelles bases (sans douter du bon esprit de la décision) tous les verbes nouvellement créés font partie du premier groupe de conjugaison, les verbes en ER. Je trouve cela bien dommage. Nous sommes d’accord, c’est pratique, tout le monde s’y retrouve assez bien. Pourtant, quel amoindrissement de la beauté, de la force de la langue française ! Et, pendant que j’y suis, quel dommage aussi que l’usage ait rendu certains verbes défectifs.
Nombreux vont être ceux qui ne comprendront pas que j’y trouve à redire. Mais réfléchissons un peu.
Quelle saveur y trouverions-nous si cette pratique avait été la même depuis le toujours ? Moudre serait mouder, finir donnerait finer, entendre entender… La liste est longue et les consonnances, à mon sens, désastreuses, la noblesse du « verbe » bien pauvre, la succulence de la langue, ce point que bien d’autres nous envient, quasi inexistante.
Reconnaissons, par honnêteté, que c’est d’avoir toujours entendu les mots ainsi qu’ils nous sont agréables, que d’autres consonnances nous fritteraient les oreilles : chantir pour chanter, mangeoir au lieu de manger (encore que…) avancre au lieu d’avancer, j’arrête là. Néanmoins, de là à limiter à jamais l’essor de mots nouveaux à une seule catégorie, il y a de la marge.
Pensez, écoutez, imaginez notre belle langue avec tous ses atours, la musique des sons, la variation des constructions, quand le Français moyen a si peu d’accent de nos jours. J’aime entendre qu’il va falloir (on pourrait dire fauler, sinon) en découdre pour ne pas choir dans la médiocrité, tant s’en faille qu’il ne puisse guère en chaloir à certains.
J’admets : ayant le goût d’écrire, l’acception m’est aisée. Or, s’il m’arrive de plus en plus souvent de m’ennuyer en lisant, ce que j’ai longtemps beaucoup fait avec grand plaisir, c’est, il me semble, que souvent la littérature use de plus en plus de ces nouveaux mots. Il faut bien, c’est vrai pour certains, coller avec son temps, faire montre d’un peu d’attrait pour un assez grand nombre de potentiels lecteurs. Pourtant, tout en admettant que fréquemment on me dit peu facile à lire eu égard les mots que j’emploie, c’est bien dans la profondeur (un peu) lointaine de la littérature française que mon esprit se régale et les histoires, les faits relatés, n’en sont pas moins attractifs que les sujets actuels.
N’en rencontrant pas ses membres—hélas—je ne parviens pas à trouver une explication auprès de l’Académie Française ni à savoir ce qu’ils en éprouvent.
Je ne suis pas foncièrement réactionnaire, n’empêche : il devrait y avoir des limites à l’uniformité.
je t'aime jusque dans ta furie
https://www.youtube.com/watch?v=vVu_QRlqzao
Vendredi 8 Avril 2022
Faisons fi des considérations socio-politico-écolo… Ce qui se passe aujourd’hui partout autour de moi vit aussi en moi.
Tu m’es un compagnon extraordinaire ! Je te pardonne bien volontiers tes infidélités. Il faut bien, outre te reposer, porter ailleurs tes assiduités, que tu laisses au monde, ici, là, quelques aires de quiétude ! Ils ne sont pas nombreux ceux qui comme moi te vouent autant de tendresse.
Là où tu sévis dit-on—je dis là où tu vibres—on n’entend souvent que plaintes et jérémiades. Je ne vois pas là pertinence d’une telle acrimonie. Pour les plaintes, je peux comprendre. Mais ta plainte à toi, l’entend-on à sa juste mesure ? Je l’entends même si je n’en perçois pas évidemment toutes les raisons, toutes les nuances, ses exactes expressions. Une chose m’est avérée : l’expression de leur profondeur. Ces gémissements que l’on entend ne sont pas bien sûr les tiens. Ce sont tes chants que tu suggères à toute chose de la nature, chaque branche, chaque angle, toute lande, jusqu’à la souplesse des eaux te sont autant d’instruments dont tu joues à la perfection. Aucune composition n’égale les tiennes.
Je veux bien ne pas dormir quand tu es là : juste pour t’entendre. Juste pour sentir jusqu’au fond de moi toute ta puissance, tes expressions fantastiques. Si n’étaient les trombes que tu disperses bien souvent, j’ouvrirais le huis de mon toit la nuit pour contempler les métaphores que tu révèles à la lune jouant entre les nuages dont tu l’assailles si longuement, sa perception vue de nous, ici en bas. Je te laisserais fouiller ma couche, jouer avec mes frissons, ravir jusqu’au bout mon émoi.
Toi présent, les êtres se terrent. Ils craignent ta colère. Mais en est-ce ? Il n’y a guère que les corbeaux pour te braver et rouler, jouer dans tes flancs, danser en interminables arabesques dont j’imagine que seul l’épuisement vient à bout. Même le marin qui te compte pour allier réduit sous ton joug la voilure, courageux mais surtout jamais déraisonné, trop imprudent. Je veux bien croire que s’il met à la cape c’est pour, tout comme moi, aussi goûter ta magnificence. Et si l’effroi le gagne souvent sous ta hargne, il te respecte, te craint autant qu’en d’autres voix pour lui il t’honore et il t’espère.
Oui je t’aime, et plus que toute autre chose. Tu me berces, m’enchantes et nourris mes paysages de rêves à satiété, toujours. Oui, je t’aime, colère parmi d’autres de la nature, toi Vent, jusque dans tes furies !
Non : pas Rutebeuf
Les 8 et 9 Décembre 2021
« Que sont mes amis devenus
« Que j’avais si près tenus
« Et tant aimés…
« …Et il ventait devant ma porte
« Les emporta… »
C’est un peu de l’histoire ancienne. Du moins aux yeux, à l’esprit de beaucoup. Pour ceux qui vont ici la découvrir, mais surtout pour ceux qui en ont été les protagonistes. Un ou deux d’entre eux qui me prêtent un peu d’attention peuvent en témoigner. Je ne pense pas qu’ils aient le même regard, la même perception que moi, les mêmes souvenirs à propos de cette époque.
Nous étions plutôt jeunes, pour la plupart assez impétueux, animés très souvent d’un fort ressenti, besoin, de révolte, de contestation. Avec le recul, mon impression est que nous subodorions plus ou moins consciemment l’évolution des courants de pensée, d’action, qui s’amorçaient à l’époque dans la société, insidieusement. Nous n’appréciions pas, par exemple, la tendance qui portaient les dirigeants à faire adopter par la population une sorte de pensée unique. Tendance qui, il faut bien le reconnaître, n’a de cesse aujourd’hui que de vouloir encore et toujours plus contraindre l’individu lambda. « Imposed cogitationes »
Mais au-delà de cette volonté d’endiguer la tendance, il y a eu l’amitié. Débattre, même régulièrement, est une chose ; dans le respect c’est mieux ; avec écoute et accompagnement c’est un sacré plus. La connivence a vite été de mise. Et les sujets abordés furent multiples, éclectiques. L’amitié profonde, je crois, s’est même muée en délire à certains jours.
Je dois ici préciser le cadre de vie où nous évoluions. C’était un centre de formation dédié à la reconversion de jeunes adultes. Mi internat (mais pas pour tous), mi communauté, les partages dans le quotidien étaient au cœur de notre encadrement, de la démarche pédagogique. Certains d’entre nous vivions 24 h/24 ensemble. Et chacun de tendre ce qu’il avait, ce qu’il était, mais sans contrainte, à sa mesure. Il y avait trois groupes de formation. Le nôtre, nous destinant aux soins, était particulièrement soudé.
J’y ai connu des moments éminemment constructifs, dans une entraide de tous les instants, à propos de tout, chacun offrant « son plus » aux autres.
Or, entre certains d’entre nous, il y avait de vrais et profonds sentiments. À ce point que devoir se disjoindre, reprendre le cours de notre vie au bout des neuf mois qu’a duré cette formation a été particulièrement pénible à quelques-uns. Personnellement, je misais sur l’avenir pour que ce lien si précieux perdure.
Mais les chemins de vie divergent. Et s’il arrive que certains se contactent encore de loin en loin, les forces des liens d’alors se sont souvent dissous.
Ne pensez pas qu’il y a de la nostalgie pour ma part. c’est… autre chose. Les goûts, les préoccupations évoluant, la vie nous a dispersés et c’est là que mon esprit s’inscrit. Il y a juste que, de nature très fidèle, je garde pour mes compagnons la force, la profondeur de mes sentiments d’alors, quand bien même nous avons changé : ce que nous étions, chacun, avec tant de force, d’affirmation, ne peut à mes yeux, à mon cœur, s’être évanoui.
C’est vrai que de façon générale j’aime les gens, souvent intensément. La vie m’a appris à ne pas m’avérer insistant et à ne pas dépendre de ces sentiments. Cela m’est précieux. Mais ces rencontres et partages le sont tout autant.
Toi qui m’as côtoyé ou qui me croises aujourd’hui, sache que qui que tu sois, tu comptes beaucoup à mes yeux.
Je t'aime tant
Le 16 Août 2021
(Paraphrase)
« Ayant avec elle couramment vécu en ménage
J’eusse aimé honorer sans être trop intrigant
Cette grande alliée de l’être en qui sourd son courage
Mais que d’aucuns redoutent, la croyant l’œuvre de Satan… »
Depuis mon enfance, j’ai avec toi des rapports qui laissent dubitatifs nombre de mes semblables. Certains vont jusqu’à te haïr et ma tendresse à ton égard me leur rend des plus suspects. Ils ne sont pas rares ceux arguant d’anomalie. D’autres très attachés à toi me sont solidaires même s’il en est qui trouvent notre relation presque inconvenante. Jalousie ? Incompréhension ? Peur de l’inconnu ? On accordera à chacun la raison qui lui sied le mieux. Je ne sais si je peux légitimement m’estimer honoré de retour. Pourtant, jamais tu ne m’as fait l’injure d’une distance, même subreptice. Toujours tu m’accompagnes lorsque j’en éprouve le besoin. Je nous perçois aussi fidèles l’un à l’autre. Tout au plus, parfois, nos chemins diffèrent un peu, sans éloignement et toujours pour si peu de temps.
Tu règnes sur un univers qui effarouche beaucoup d’êtres. Mais ceux qui te peuplent, toujours, te rendent grâce, à leur manière. Certains n’ont pas de mot. Du moins de ceux que je connaisse, que je comprenne. Or tous, comme moi souvent, se réfugient sous ta couverture. Ils aiment, tout comme moi, ta profondeur et l’habitent. Vivre en ton sein est vraiment vivre. Tu es toute entière partie de la nature et sans toi elle serait incomplète. Les règles qui te régissent sont celles de la nature. Tout celui qui te peuple le sait et les respecte, profondément.
Celui qui tente de tricher devant toi, tôt ou tard, y laissera une partie de lui-même et te perdra. Tu es souveraine tout comme l’est et le seront toujours la mer, la montagne, enfants de la nature. Ce doit être ce qui te rend si troublante aux yeux de qui ne te connait, ou si peu, ou si mal. Et ce doit être de là qu’ont surgi les légendes sur ton compte et l’effroi qu’elles suscitent. Une légende recèle toujours une part de vérité. Pourtant, elle s’y trouve tellement déguisée ! La vérité, ta vérité, on ne peut l’aborder qu’en se soumettant à toi, quand tu acceptes qu’on t’habite, qu’on vive en toi, de toi. Or, je ne pense pas que cette vérité nous soit pleinement accessible. Ou peut être à la fin ; quand tout s’éteint en l’être et plus encore si c’est blotti en ton sein.
« L’amour rend aveugle ». C’est sans doute ce que diront les sceptiques. C’est se méprendre. Aussi sombre sois-tu, tu révèles l’être et tellement à lui-même.
J’en ai parlé ailleurs : ta sublime discrétion ne se découvre jamais aussi foncièrement qu’au moment précis où tu commences à t’effacer. Ceux qui l’ont vécu le savent : le silence te salue profondément, respectueusement quand tu t’évanouis… Pour céder toute la place au jour.
Mais c’est une illusion, Nuit : ceux qui te vivent te couvent alors en eux, jusqu’à ton ressourd.
Tienou
(Également in « lettres d’amour »)
Ballet volant
Le 12 Août 2021
L’adversité nous voile parfois la face du réel. L’esprit accaparé par ce qui nous déçoit, voire nous fâche, nous perdons de l’acuité. Dans les périodes sombres, il est bon d’en garder conscience. Savoir rester ouvert à ce qui nous entoure peut s’avérer un bien doux baume.
Ce soir, alors que je faisais le décevant constat qu’une nappe nuageuse avait envahi le ciel, me privant ainsi du plaisir que je m’étais imaginé de plonger mon regard à l’infini dans les étoiles, je me suis résolu à vouer mon attention aux sons qui peuplent l’espace crépusculaire. La nature a comblé ma sage résignation.
La clarté du jour s’évanouissant peu à peu, emportant avec elle la forte chaleur ambiante, un jeu d’ombres très variées s’est mis en place. Pour mieux profiter de la douceur du moment, je me suis allongé sur un de ces bancs malcommodes liés aux tables de pique-nique qu’on trouve çà et là dans les verts espaces publics arborés. De-ci de-là, un pépiement fluet faisait vibrer l’air, ou les flop-flops inélégants du vol des pigeons, ou le vrombissement désagréable de quelques insectes pas forcément velléitaires à celui plus gourd des coléoptères malhabiles a zébré le silence si suave du moment. Mon attention toute disponible alors s’est laissée apprivoiser par un phénomène que je n’attendais pas. Dans toutes les épaisseurs de l’espace au-dessus de moi, autour de moi, ont commencé à voleter une myriade de silhouettes sombres, vives, agiles. Cela virevoltait dans tous les sens, surgissant de toute part, s’évadant on ne sait où. Quand on observe les oiseaux et d’autant plus le soir, il est rare qu’ils s’avèrent multitude. Là, fonçant de partout, dans tous les sens et dans un désordre d’abord apparent, mais je me suis vite détrompé de cette impression, les apparitions étaient aussi fulgurantes que soudaines les disparitions. Une nuée de papillons fous d’ivresse dans une prairie noyée de fleurs multicolores n’auraient pas déployé un ballet aussi gracile, voluptueux au regard, délicieuse allégorie de la liberté. Partout au-dessus mais aussi autour de moi n’était que gracieuses arabesques tracées par ces êtres si persuasifs dans leur démonstration que tout, même l’insaisissable légèreté de l’air semblait leur obéir.
De tout cet ensemble sourdait une sensation de magie. Et d’autant plus que cela se passait dans le plus profond silence. Il faut dire que mon regard était si captivé par tous ces volatiles furetant que je n’étais plus attentif pour le reste du vivant. À peine de temps à autre si un son de froissement de velours me frôlait, mais d’une légèreté telle, dépassant l’entendement, moins que le flux de la plus frêle brise dans les blés verts.
Autre que moi, c’est bien possible aurait éprouvé quelque crainte, ou peur—et j’omets volontairement les phobies que tout cela inspire à certains—de se voir accroché au passage par ces petits spectres volants. J’ai pu dénombrer des différences entre eux. De forme, de façon de se mouvoir, jusqu’à des nuances dans le sombre de leurs silhouettes.
On alarme beaucoup et à raison quant au fait que les chiroptères sont en danger, sinon de disparition, au moins de raréfaction inquiétante. J’ai été émerveillé de constater, outre leur ballet majestueux, que les chauves-souris peuvent par endroit s’avérer nombreuses. Cela n’entame pas ma vigilance à leur égard. Mais ce soir, j’ai été enchanté par la grâce incroyable de ces mammifères volants, bien plus spectaculaires que la plupart des vols d’oiseaux.
Je vous jure qu’il n’est aucune raison d’en avoir peur !
Tu sais...
Le 3 Janvier 2021
C’est un petit cocon, il met le temps qu’il faut pour éclore. Et il a bien raison.
En dedans, bien à l’abri, s’épanouit tranquillement une petite fleur. Au début, trois fois rien. Un soupçon. Quelque chose qui tremble un peu. De ne pas savoir vivre encore, juste un peu de frayeur. C’était un début d’été, une douceur encore dans l’air. Du vert partout, comme un soleil qui aurait changé de couleur, rien que pour de la tendresse. En supplément à l’amour. Alors, forcément, de la douceur, de l’ombre, ce sentiment d’être bien, de pouvoir dépasser le monde avec tous ces tracas, ces ennuis… Bien plus jolie que tout cela : un trois fois rien de petit bourgeon.
Mais, bien calé dans son enveloppe de velours, ce petit bout s’affirme. Au fond de son petit calice d’intention, ça commence à palpiter. Et à repousser les murs. Dans un cocon, pour que tel espoir grandisse, il faut de la place : « Poussez-vous là-dedans, j’existe ». Oui, bien sûr. Tu es là, forcément tu vas avoir de la place, et plein d’attention aussi, de prévenance. Et puis, une telle force, cela ne se contrarie pas. Toute la puissance du devenir !
Or il faut pour bien faire les choses ajouter de la patience. De la tendre patience. Celle où on apprend tout autour combien tu existes, combien c’est important qu’on soit à l’écoute. Tout autour, pour mieux te sentir, te saisir, bien comprendre tout ce que tu exprimes, on met les mains en porte-voix, et les oreilles en sonotone. Là, tout contre le doux coussin qui te couve on pose la tête, comme on glisserait précautionneusement un stéthoscope pour capter ce qu’on ne perçoit pas d’habitude. Et tu es là. On te sent bien : tu existes.
C’est merveilleux, vois-tu ! Tant de fois dans ma vie j’ai vu sourdre, se développer, éclater au grand soleil des devenirs de vie comme toi. Mais le presque vieux bonhomme que je suis ne s’y habitue pas. C’est à mes yeux, dans mon cœur, au silence bienveillant de mon âme toujours aussi merveilleux. Cela ne s’est pas toujours su, encore moins vu, mes yeux, avec toi apparaissant, comme pour toute autre vie jaillissant devant moi, mes yeux se mouilleront. De joie. C’est certain. Plus même : de cet indescriptible bonheur de la vie recommencée, de cet espoir en perpétuel essor, superbe pérennité faite de vie mille fois réinventée.
On ne sait jamais rien, vraiment, de demain. Mais tu vois, cette humeur-là qui glissera de moi, ce sera, un peu, pour toi, mon hommage à moi.
Tu sais… J’ai vraiment envie que tu sois là. Patience !
On t'a dit
Lundi 19 Octobre 2020
L’enfant sort en trombe. Il a, quoi ? Neuf, dix ans ? Qu’importe. Il a la liberté chevillée au corps. Autorisé à sortir, il n’écoute que son envie.
Devant lui il y a cette journée qu’il savait venir, à son heure. Il ne marche pas, il danse ; il ne court pas, il fonce. Le monde—son monde bien sûr—est à lui, rien qu’à lui, et à ce qu’il admet. Les poules du voisin n’ont qu’à bien se tenir… loin de son insouciance. Il est beau. Il est rieur. Il sent le foin, la rue d’étable, le chien mouillé. Et le chocolat qu’il a glissé dans sa poche subrepticement juste avant de se fondre dans l’air léger qui le porte, qui l’élève.
Il a laissé pour un temps, le sien, l’ordre des adultes, les devoirs, les belles leçons, celles que le maître (Cher Frère de son état) a tracé sur le grand tableau vert d’une craie grinçante : la sentence d’éducation civique du jour. Il a une grande maîtresse aujourd’hui, immense, incommensurable, la Nature. Elle est son guide, au-delà de tout, loin des obligations qui ne sont pas les siennes, loin des envies qu’on lui attend, toute dans la tendresse de son regard de gamin.
Il va conquérir les landes, la vigne, la récompense, l’allée noire, le Graau, l’allée verte, graver ses acrobaties sur la terre battue du tennis, brasser les lentilles de la douve, effrayer les grenouilles et les lapins, ignorer les serpents qui s’enfuient aux trépidations de sa course le long des fourrés. Il va tomber en arrêt devant la forme rousse, aussi surprise que lui, du renard qui se croyait seul lui aussi, il va affoler les chèvres qui n’en demandaient pas tant pour endiabler la monotonie de leur pâture… Il va vivre à sa mesure. Mais il sera là à l’heure du repas, « tu es sale comme un goret, vas te laver les mains », juste à l’heure qu’il convient, même pas quelques minutes de retard, d’ailleurs ce n’est encore prêt, « tu mets la table ? » … s’il te plait. Ça n’a pas même à lui plaire, il sait qu’il est attendu qu’il le fasse.
Un peu plus tard, il va abandonner à sa contrainte ces jeudis d’escapades. Chez les grands il y a école aussi le matin le jeudi… Non, le mercredi maintenant. Il ne retrouve sa libre campagne, ses repères secrets que le temps du week-end, enfin, à partir du samedi après-midi, quand le car l‘a ramené de la ville. Toute la semaine il a rongé son frein entre les murs du collège où il a choisi—oui : c’est lui qui l’a choisi—d’être en internat pour ne pas se lever trop tôt le matin, ne pas se dépêcher de tout faire le soir avant qu’il ne soit l’heure… Une liberté de prison choisie contre une kyrielle de contraintes, un monde à lui et aux copains qu’il s’est fait, un univers entre obéissance scrupuleuse et petits arrangements avec le règlement, pas vu pas pris, c’est le jeu. Il apprend, mais tout autre chose que ce qu’il attend, que sa vie de rêves libres qu’il continue de courir pendant les heures d’études, les devoirs bâclés, et le soir dans le sombre grouillant du dortoir où respirent différemment cinquante poitrines obligées au calme.
Et puis, il a appris à plier, se plier aux règles…
Il a fait, un peu, ce qu’on attendait de lui, même s’il a choisi, un peu, la façon de le faire. Il est devenu un homme.
Mais un homme qui vibre de créer toujours sa liberté, à tout instant, ne cédant un instant que contre la volonté de faire vibrer son âme, restée celle de l’enfant qu’il ne peut cesser d’être. Parce que la Nature lui a appris
« On t’a dit » … Ah bon ? Mais ce n’est pas moi qui le dis !
"Pécher" même en pensées
Le 8 Février 2020
Depuis quelques années, même sans en faire état, je m’intéresse de plus en plus près aux comportements des êtres vivants. Je n’en fais pas étude, pas plus que je me ne relie aux théories sur le sujet.
J’apprends beaucoup !
Tout d’abord, peut-être, il faut bien délimiter le champ du vivant. Ce qui est vivant ne s’anime pas obligatoirement, à notre sens commun. Bien des choses que l’on perçoit comme de la matière est animé de vie : elles s’ébauchent (ou sont ébauchées) se développent, évoluent, périclitent et tendent à disparaître.
Les vivants que nous sommes, les humains, avons très souvent tendance à envisager le vivant à l’aune de notre échelle temps. C’est trop juste, et donc bien injuste. Certes il n’est pas aisément concevable que ce qui existe depuis longtemps avant nous et durera bien plus que nous soit à compter au monde du vivant. C’est que notre courte vue et le manque de connaissance n’a pas participé à une suffisante ouverture d’esprit. Pour nous la vie revient à concerner ce qui s’anime (ce qu’on dit « être vivant »), voire ce qui au moins semble mourir (plantes, lichens et mousses…). C’est si peu en regard de ce qui existe ! Car c’est bien là que réside la vie, l’animation pas toujours décelable à nos yeux, notre conscience.
Les scientifiques excluent du vivant ce qui évolue d’un point de vue de la physique, parfois aussi de la chimie… Mais il n’est pas certain que cette acception—ou plutôt exception—soit exacte. L’univers entier se comporte (les scientifiques eux-mêmes usent de ce terme en parlant, par exemple, du cosmos) avec une évolution certaine, la marque d’un début, autant que l’on puisse savoir aujourd’hui, va vers une fin, même si on ne la définie pas. Et donc l’univers se comporte comme quelque chose de vivant.
Je m’attache donc à observer tout cela, vu de ma fenêtre comme on dit, avec mes moyens, mes capacités d’observation et je le soumets à l’appréciation de mes pensées. Pour rester entier, complet et loyal, cette part inclue également les tendances les plus élucubratives de mon esprit. Mon intention est de tenter de ne rien exclure, pas même cette part de déraison que bon nombre critiquent ou du moins reluquent en rigolant. N’est-ce pas ce qui a été très sévèrement critiqué jadis qui est l’essence de nos démarches de raisonnement aujourd’hui ?
Le vivant est aussi infini que ce qui le constitue. J’observe avec foi et certitude cela. Et l’une des marques indéniables qui le relie au vivant est bien qu’il influe, parfois très durablement, sur tout. Avec le temps du recul que trop souvent on omet d’apporter à nos investigations, l’impact est très fréquemment considérable. Le vivant influant, donc, m’interpelle sans cesse, attire mon attention, m’invite à plus observer et tenter d’analyser, à mon niveau s’entend. Ma nature me porte à tenter de ne rien négliger et m’oblige chaque fois qu’une donnée nouvelle s’offre à mon appréciation à reconsidérer indéfiniment l’impact de ces comportements sur le reste de l’existant. Ça me passionne, est-il utile de le souligner. Et cela m’enrichit. Ce qui a pour effet de m’incliner plus encore à respecter ce qui est, que cela se voit ou non, d’emblée.
La probité que j’ai à cœur de toujours honorer m’oblige à être juste jusque dans mes pensées. C’est ce que bon nombre d’humains oublient de faire. Ils distinguent ce qu’ils reconnaissent ouvertement de ce qu’il peut leur arriver d’imaginer. Or la pensée fait partie de la vérité de l’être. Il convient donc de s’y montrer respectueux des mêmes acceptions que face à l’ostensible.
La justice nous oblige à nous respecter et respecter ce qui est, jusque dans la pensée, par la pensée.
Le Brame du cerf
Vous
Le 8 Mars 2017
Je ne sais, exactement, ce qui m’a tiré du sommeil ce matin. Je me suis levé assez tôt, sans ressentir pourquoi. Mais depuis que mon esprit se soulève, lentement, comme à mon habitude, votre pensée m’obsède. Vous êtes toutes là.
Je ne vois pas, en revanche, celui qui dans votre ombre vous porte ou vous soutire. Etes-vous seule ? Quelqu’un vous encense-t-il ? Ou vous broie-t-il ? Je ne vois que votre lumière. Ne flotte à mon regard que cet étendard, vous, votre gloire.
Peu importe que l’on vous reproche, parfois, cette allant inquisitoire qui de vous nous fait dépendre. Il m’arrive de penser que certaines d’entre vous ne savent, ne peuvent, lever seule la tête et que nous soyons envers vous, pour vous, des tuteurs. On ne se débarrasse pas de lustres d’influence, voyez-vous ! Or je sais bien qu’à nul autre pareille votre envie vous porte, si haut, à brandir cette parité, cette force à être, parangonner votre image à l’instar de la nôtre.
On trouve, un peu partout, et tout particulièrement en ce jour, des pages, des articles, des images sensées vous porter aux nues. Je ne sais quel est ce besoin, cette attente de vous rendre ce que dans les temps, tant d’autres vous ont pris. Depuis que je vous connais, en conscience, on va dire que cela fait cinquante-cinq ans, je n’ai jamais attendu moins de vous, que de mes petits camarades. Et d’ailleurs je vous ai trouvées bien souvent plus intéressante, même encore maintenant, que vos semblables d’un autre genre. Je ne saurais dire d’où cela vient, ce qui me l’insuffle. Il faut de la vie toujours chercher à apprendre combien l’autre compte et espère qu’on l’exhorte, femme, homme, qu’importe, à être si égal à nous. Je ne réponds pas aux clairons, leurs braillements, leurs fanfaronnades. On ourdit trop de nos jours ces portances à être au-delà de ce qu’on nous veut être, tout comme vous, au-dessus de tout.
L’être, celui qui existe, vit, quelle que soit sa nature, son origine, mérite le plus grand des respects, sans distinction aucune. L’Homme a oublié qu’il n’est pas seul à respirer, s’enivrer de cet air qui a permis que l’on sourde. J’ai plus envie d’accompagner l’autre, toujours, comme cette part de moi-même, celle que je resserre en moi, celle qu’on ne voit pas peut-être, mais dont je sais qu’elle l’anime. Je honnis tout celui qui tente de faire une distinction, un exemple, d’un quiconque, tente de porter sans arrêt au-dessus de tout.
Nous sommes pareils, c’est là ce qui m’importe. Et si nous avons des façons disparates d’être, c’est pour faire de nous une entité, à jamais un exemple, mais qui ne vaut pas plus que l’autre. Nous sommes égaux, toujours. Moi, vous, l’autre. Peu me chaut d’autres hautes considérations.
Femmes. Vous ! Ce jour que l’on vous donne ne mérite d’être. Non plus qu’il en soit un nôtre.
Trangénisme
Le 28 Février 2017
Le législateur Français s’y est opposé farouchement en 1994. Aujourd’hui, comme suite à l’esprit initié à l’époque, il recommande l’étude approfondie de la question. De leur côté des scientifiques internationaux préconisent des recherches innovantes dans son sens. Les comités d’éthique se bagarrent philosophiquement…
Transgénique : à tout celui qui connaît un peu la structure génétique du vivant, le mot fait très peur. Sincèrement il y a de quoi. J’ai appris à seize ans ce qu’était un gène et les bases de son expression (chez la mouche), d’emblée j’en ai eu la chair de poule. J’écrivais déjà à l’époque ; je me suis interdit de le faire sur le sujet. Je pensais, à juste titre je crois, que c’était là affaire de spécialiste. Abordant le sujet aujourd’hui j’hésite encore, quarante-quatre ans plus tard !
Après tout qu’importe… la nature fait parfois du tort à sa nature, elle émet des irrégularités. Mais j’ai quand même envie de la suivre et de m’incliner devant son imperfection. Je n’irai pas dire comme certains que c’est là une œuvre toute puissante. Néanmoins, je m’interdis de juger et d’évaluer.
L’homme souhaite se donner les moyens de la parfaire ? A-t-il seulement évalué l’importance de ces irrégularités ? Je sais bien ce qu’il veut faire, dans le cas louable où il souhaite régulariser ses errances. Or jamais l’homme n’a pu se porter garant des agissements de l’homme, de ses semblables. Et il oserait se porter juge et perfecteur d’une force qui le dépasse ?
Bien sûr, tout l’art de la science est de comprendre et de faire ce qu’il peut y avoir de mieux, mais de là à s’en prendre aux bases même de ce qui régit la vie, il y a une marge à ne pas escamoter. Je sais qu’au travers de sa respectabilité, l’homme a tenté des essais et il prétend aujourd’hui pouvoir s’affranchir des limites. On ne nous dit pas tout ce qui se passe dans les laboratoires et il y a fort à penser que des erreurs y ont déjà été commises, que des monstres (souvent des maladies) y ont été créés.
Il faut bien comprendre : tout ce qui n’est pas naturel, de l’expression même de la nature, est monstrueux, quand bien même ce serait une expression de l’amélioration de l’état des choses. Sans pour autant émettre qu’il existe une puissance supérieure, j’ai l’intention de prétendre qu’il est des choses à ne pas déranger. La nature seule se sait garante de ce qu’elle engendre et sait entreprendre les rectifications qui semblent nécessaires. Il lui est seulement nécessaire d’en avoir le temps que nous nous apprêtons à ne plus lui accorder.
Alors, n’allons pas nous ériger en apprentis sorciers. La génétique, ses lois—très simples—ses expressions sont notoirement stables. Il n’est que l’évolution pour les faire… évoluer
Je dénis à quiconque le droit d’y déroger. Même sans être puissant parmi les puissants !
Un petit val tranquille
Le 24 Février 2017
S’il m’est arrivé de vous parler de ce lieu d’enchantement qu’est la campagne qui a vue s’épanouir ma jeunesse, je ne vous ai pas décrit le lieu, certains points avec précision.
Le château jouxtant la maison dont elle dépendait s’élève en haut d’un coteau qui surplombe une rivière, le Beuvron. Dans les Mauges, cette belle petite région du sud-ouest du Maine et Loire, il n’est guère de rivière qui sillonne à plat, dans une plaine. Très vallonnée, ses eaux courent au creux de vaux si différents les uns des autres. Chaque fois que vous passez une côte, de l’autre côté vous attend un autre paysage. Le val du Beuvron n’échappe pas à la règle. Mieux, il y participe tant son cours même traverse des paysages différents.
A la Morinière, c’est une trentaine de mètres qui dévalent en prairie escarpée la pente vers le ruisseau. D’en haut, on a vue sur le bourg, en face, avec son clocher qui veille telle une sentinelle autour duquel se regroupent une poignée de maisons. Le bourg s’est agrandi depuis mes vingt ans, mais le val change peu. Le château, la maison trônent toujours seuls de l’autre côté. De grands arbres les entourent en bosquets qui donnent au lieu une fière allure. Les gens du cru sont fiers de cet horizon. Les deux versants se dressent et leur faîte se font face, se toisant presque, mais veillant l’un sur l’autre, plus, se portent garants de la beauté de l’autre.
Si le vert, particulièrement dès le printemps, domine dans ce paysage, il est loin d’être monochrome, tous les arbres affichent le leur propre et ponctuent l’ensemble d’une note joyeuse. Leurs ombres jouent à cache-cache, les nuages au-dessus les chahutent qui disputent la lumière au soleil. Les vents dispensent leurs guirlandes de moutons blancs ou gris, selon les jours et même sous un ciel couvert la lumière donne des éclats joyeux à tout ce qu’elle touche.
J’ai couru dans ce petit coin de merveille. J’ai dispersé mes cris, mes joies, mes jeux de gamin. Il se peut qu’à y retourner on en retrouve, mus dans les fourrés, dormant, terrassés de solitude depuis que je n’y ris plus. Ce n’est pas tant qu’il était à moi ce vallon. Je ne pouvais prétendre à rien. J’étais l’hôte gracieusement accueilli par ses lustres d’histoire. Le coin était un ensemble, une propriété bourgeoise. Cela n’est plus. Tout a été divisé, les lopins partagés à divers propriétaires. L’ensemble n’existe plus que pour le paysage. J’ai été un des derniers gamins du domaine. Je lui appartenais et je ne suis pas sûr que d’autres après puissent s’en réclamer comme moi. Même si je n’ai rien laissé à son histoire.
N’allez pas lire entre les lignes quelque vague nostalgie que j’y aurais abandonnée. A chacun son histoire, à chaque époque sa particularité, aux habitants successifs leur morceau de vie.
Le val siège. Ses habits varient parfois. A mon esprit il garde sa lumière.
Le préambule
Le 19 Février 2017
Depuis que le vent s’engouffre dans toutes les toiles que je lui propose, je n’ai jamais eu la force, la volonté de le laisser me porter où il voulait. J’ai gouverné !
Il est tellement plus facile de décider de ce qui doit se passer plutôt que d’observer le courant d’aller ordinaire. Des choses, des êtres.
Je ne suis qu’un simple individu. Il est nécessaire de me laisser humblement guider par l’ordre du monde. Ah bien évidemment, ce ne doit pas être celui qui se décide dans les hautes sphères. Les édiles se croient investis d’un pouvoir sacré. Ils tirent leur droit à exprimer leur puissance de ce qu’on les a élus, nommés, dans un monde où l’on croit que la démocratie est la principale forme d’expression de la volonté des citoyens. Tout le monde sait bien qu’il n’en est rien. Mais chacun préfère se réfugier derrière le nom qu’il dépose dans l’urne. Il ne les défie pas d’agir selon leur conscience : il leur offre par là un blanc-seing.
Il est de ma responsabilité de faire valoir ce qui est mien. C’est moi et moi seul qui me soumets aux bons usages—croit-on—de la démocratie. Mais je ne fais que suivre les voies que d’autres s’offrent et ne m’interroge guère sur les miennes. Il devient de la première importance de m’exclure de la masse de ces moutons-là. Il ne s’agit pas de clamer « je veux et je décide » mais « j’évalue et je choisis ». Je me dois de chercher à connaître ce qui est réellement profitable à mon existence, en regard de ce qui se passe pour celle des autres.
Si j’observe l’injustice, le désavantage, il m’est dû de le faire valoir. Quand j’aborde la notion de respect, il m’est dû de la faire valoir. Rien ne doit être infligé à autrui sans mon libre consentement. C’est la condition sine qua non du respect de la vie. Il y va de ma crédibilité auprès du reste du monde tout comme de mon droit à contester une affaire. Nul ne peut s’instruire au-dessus de moi tout comme nul ne peut être obligé à vivre en deçà. Il ne me sert à rien d’attendre que d’autres le fassent valoir pour moi. Je suis responsable de ce qui se passe sous mes yeux, par mon droit, et je me dois d’agir à le faire respecter. Si un être est condamnable pour une vile action, je le suis tout autant si je l’ai laissé agir sans rébellion. Jamais je ne dois me retrancher derrière un prétendu bon droit.
Le juste et le droit ne peuvent en aucun cas être immuable. Si j’ai autorisé une règle, je me dois d’en respecter les conditions de son application et d’observer qu’elle s’exerce selon le libre vouloir d’autrui, selon la juste expression des circonstances.
« Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur… »
De l'esprit
Les 10 et 11 Février 2017
Il est couramment admis que l’être humain en a. Très rares aujourd’hui sont ceux qui conçoivent que d’autres êtres puissent en avoir. J’ai dit dans d’autres pages combien j’imaginais que celui des végétaux nous échappe. Je vais, parce que j’en suis convaincu, passionné, aller plus loin encore. La matière elle-même est animée d’esprit.
De fait, partout d’où sourd la vie, le mouvement, l’évolution, il me semble que règne l’esprit. Dans des temps pas si reculés que cela, j’aurais été damné d’avoir prétendu une telle conception de ce qui est. Or il est un fait : la conception des hommes petit à petit s’élargit et sans bien nous en rendre compte nous retournons vers les temps d’où sont venus les conceptions divines de la création. Nombreux sont les textes archaïques qui en font état. Les croyances, nombreuses, sont nées de cela. Je ne comprends pas aujourd’hui que s’opposent les créationnistes et les évolutionnistes. Tout cela, dit différemment il est vrai, revient au même.
A mon sens, c’est l’esprit qui est au faîte de tout.
Mais entendons-nous bien : il s’agit d’une manifestation que l’on peut observer et qui, par cela, ne doit rien au divin. Ce qu’on en a reçu n’est qu’un témoignage. Il est suffisamment métaphorique, parabolique pour inclure en notre pensée un peu de foi qu’il existe « quelque chose », une manifestation que nous ne cernons pas bien. Se rapportant à nous, pour exemple, nul ne sait d’où nous vient la pensée.
Les forces que l’homme a été amené à étudier, à comprendre parfois jusqu’à pouvoir les expliquer sont reconnues physiques, chimiques, réactionnelles à la matière elle-même. Tout comme si l’on pouvait lui considérer avoir une manifestation intrinsèque. L’esprit. Oui, la matière aussi est animé d’esprit. Sans cette considération il me semble bien qu’on puisse jeter au panier toute notre science de ce qui est. Et de même, exclues les belles théories qui tendent à prouver que nous avons un esprit—ne serait-ce que parce que nous sommes en mesure de les expliciter, voire les reproduire parfois—exclu cela donc, reste la manifestation de ce qui est. Pour exemple (et cela ne retire rien à l’esprit que je lui prête) l’animal voit les choses bouger sous l’exercice du vent, invisible pourtant.
Alors que considérer de cet esprit que l’homme s’est arrogé ? Dans un premier temps, je dirai qu’il faut bien considérer que c’est par ce qui l’anime qu’il est amené à le constater. Ne nions rien ! Rappelez-vous qu’un temps on a considéré que la femme n’avait pas d’âme. Combien d’effort, de qualité d’esprit il a fallu à certains hommes pour le faire déconsidérer !
Cette manifestation à ma pensée me passionne. Je n’ai guère d’élément probant à apporter, même s’il est plus aisé de démontrer ce qui est que ce qui n’est pas. A mon sens, il nous revient le devoir de s’ouvrir, d’accepter que soit même ce qu’on ne voit pas.
C’est l’esprit serein que je pose ces mots, acceptation par moi, patente, de ce qui est.
De la notion de complexité
Le 29 Décembre 2016
Monsieur Edgar Morin, dans un extrait de conférence, me souffle ce que j’ai depuis longtemps compris du vivant… sans trouver tous les mots pour le dire.
Il est indispensable de bien saisir ce qu’est la complexité. Elle est une loi naturelle intransgressible. Sans perception de son existence, on ne parle pas bien du vivant, pas plus d’ailleurs que du cosmique.
C’est d’avoir trop longtemps négligé ce qu’est la complexité que l’homme s’est fourvoyé dans les voies où il erre maintenant, sans bien savoir ce qu’il en est, c’est par là qu’il a péché et par égocentrisme, principe nihiliste de choix. Monsieur Morin fait appel à la partition qui existe dans la pensée cartésienne, en opposition à « la pensée » de Pascal. Je crois que c’est d’avoir lu l’autre en négligeant l’un que je me suis décalé de mes semblables, que je les ai trouvés ineptes et qu’ils m’ont considéré incongru, souvent. En fait, je considérais que cela venait de mon athéisme profond. C’était une erreur, Morin remet les choses à leur place, et moi aussi par conséquent.
Cette perception de la complexité a toujours été, je m’en rends bien compte aujourd’hui, mon pilier, l’axe de ma considération pour autrui, qu’il soit considéré comme vivant ou non. Je constate que les choses sont assez simples en fait : rien n’est à exclure du vivant. C’est en intégrant bien les connaissances que l’on parvient à s’y inscrire, c’est absorbant de facto la notion de complexité dans sa vraie dimension que la persuasion nous en vient. Il suffit de prendre en considération ce qui est. Car ce qui est existe et ce qui existe est vivant. Cela à l’air peut-être d’un détournement dit comme ça. Pourtant, il n’est de réel que dans la grande puissance de l’agencement des choses qui se fait bien souvent à notre insu.
Il est primordial de devenir humble ! Nous ne savons rien, ou si peu de choses… tout ou presque nous reste encore à découvrir. Ne pensons surtout pas que parce que nous savons alors nous avons l’intelligence. C’est une hérésie. Nous ne prenons compte de cela que parce que ça arrange notre petite pensée nombriliste.
Je sais qu’en disant cela, à mon esprit défendant, je suis presque violent. C’est peut-être qu’il faut enfin accepter d’atteindre un autre niveau de conscience que celle de l’humanité. Jamais la toute-puissance que nous nous sommes arrogés ne viendra à bout de la nature des choses, de l’agencement de la complexité.
J’aime énormément les hommes. Ils font parfois des choses formidables. Mais sans considérer l’ensemble de ce qui est, ils n’arriveront à rien de cohérent au sein de ce qui les accueille.
C’est une litote et c’est un leitmotiv : l’existence pourra toujours se passer de l’homme. Seule la complexité règne !
Pour référence : https://fr.unesco.org/news/edgar-morin-enseigner-complexite
Vous dites : la Foi ?
Le 26 Octobre 2016
Hier en fin d’après-midi, mon épouse et moi sommes allés écouter une conférence au sujet d’une pierre, formidable paraît-il. L’homme qui parlait a cité des faits, des choses vécues en lien avec cette pierre. Puis il nous a suggéré sa perception des choses et parlé du pouvoir de la foi qui selon lui animait les témoins.
Alors, on adhère, ou pas. Mais une chose est certaine, cet homme savait de quoi il parlait. C’est important quand on sait qu’il ne prônait aucune croyance ou recherche d’appréhension particulière des événements rencontrés. Hors certains faits dont il témoignait, cet homme ne m’a rien appris. J’ai toujours bien compris la foi telle qu’il l’évoquait.
Il nous a dit la part essentielle que revêt la foi dans la vie de bien des personnes, du pilier essentiel qu’elle représente… Mais aussi des ravages parfois commis en son nom. Et d’ajouter que ce n’est pas la foi qui est importante mais la force de l’amour que l’on a, à l’intérieur de sa propre foi. Il ne concevait de vraie foi profonde que nourrie d’amour.
En dépit de ce que je peux dire, avancer dans bon nombre de mes articles, je ne conçois pas la foi comme un « moteur » utile à mon existence. Comme cet homme qui parlait si bien, si justement, je pense que la foi sert d’énergie aux êtres. Mais sans pour autant dire que ceux qui n’ont pas de foi ne témoignent d’aucune énergie.
Si on veut me reconnaître une foi, c’est dans le vivant. L’ensemble du vivant, sur notre terre, mais pas seulement. Je reste persuadé que la vie existe aussi ailleurs, dans des contrées de l’univers qui ne nous sont pas perceptibles, en tant que recueil du vivant. Et je peux dire que cette foi, si c’en est une, ne s’exprime que par le vivant. Personnellement, je n’y tiens pas plus de rôle que ma propre vie, celle que j’ai reçue et dont je me sens responsable. Cette responsabilité s’étend partout où j’ai favorisé le vivant, en tout être pour lequel j’ai favorisé la vie.
J’ai deux filles. Elles sont les oriflammes de ma part du vivant. Et, en ce qui concerne l’une d’elle, mais pas elle seule, je me sens investi de responsabilité dans le lien de vie qu’elle a engendré, mes petits-enfants. Il en sera ainsi tout au long de la chaîne qui nous lie aux vivants, les nôtres.
Pourtant, il faut considérer que ma responsabilité ne tient pas qu’en mes enfants, ma « lignée ». J’ai favorisé la vie également à d’autres occasions dans la vie. Mon métier, bien sûr, en recèle une part importante. En dépit du nombre considérable de vies finies dont j’ai été témoin, dont j’ai contribué à chaque fois que je le pouvais à apporter un apaisement, j’ai beaucoup œuvré à favoriser l’accomplissement du vivant, dans ma contribution aux soins, pour une grande part, mais point seulement là.
J’ai fait partie des éleveurs, des cultivateurs, milieux où j’ai contribué au vivant. Je crois que je m’en suis toujours tenu pour investi d’une responsabilité. C’est dans ce « mouvement », peut-être, que l’on peut reconnaître ma foi.
En ce qui concerne ma pensée, de tout ce temps passé à côtoyer le vivant, pour responsable que je m’y ressens, je ne porte pas, je pense, l’habit de la foi. Je soutien la vie, uniquement.
Or, chacun est libre de comprendre l’état vivant de qui il croise. Pour moi, le vivant est en tout.
La vie !
Les 29 et 30 Septembre 2016
Eh oui, les plantes !
Je suis très content. Je viens d’apprendre qu’une étude Italienne menée par Stefano Mancuso abonde dans le sens de ce que je pense depuis un bon moment.
La vie sur terre, on l’admet tous de nos jours, se divise (en gros) en quatre règnes. Mais faisons abstraction, par manque de connaissance approfondies sur le sujet du règne mousses et lichens, champignons. La vie règne et s’exprime sous des formes extrêmement diverses. Et les scientifiques d’admettre dans la sacro-sainte considération que l’homme est au-delà de tout.
Or cet homme, neurobiologiste de renom, affirme qu’il existe un autre système nerveux que le nôtre ou celui des animaux, et qu’on le trouve… dans les plantes.
Elles ont été nombreuses les expériences qui ont tenté de prouver que les plantes réagissaient en fonction de leur environnement, sur des temps très courts et de façons réversibles quand les conditions de ces réactions disparaissaient. Il faut bien reconnaître qu’elles ont souvent été menées de manières empiriques et si elles ont prouvé des réactions, elles n’ont pas mis en évidence de processus affirmés, identifiés.
J’ai toujours pensé (à l’origine j’avais environ 15 ans) que nous n’étions pas les seuls à ressentir les choses qui nous environnent et que la vie s’exprimait tout simplement sous des formes différentes parce que c’est la vie et qu’elle seule ne peut être cantonnée sous la forme que nous lui admettons. On m’a traité, péjorativement, de futuriste (entendez épris de sciences fictions) et de rêveur, d’illuminé. J’ai attendu plus de quarante ans. Je n’ai que peu dévié de mon sens de perception de la vie et plutôt vers une affirmation plus grande de ce que j’éprouvais. Pour moi le vivant est avant tout dans la plus infime partie d’un organisme et est régi par un ensemble de réactions répondant à des stimuli divers pour des organisations d’ensemble d’un organisme plus conséquent ou d’un groupe d’organisme microscopiques, parfois.
Je ne vais pas m’étendre aujourd’hui sur les particularités de ces organisations, que j’aurai pu prendre à titre d’exemple. C’est inutile. De façon général l’homme ne conçoit pas cette expression de la vie possible… parce que cela ne ressemble pas à la sienne. Et pourtant, beaucoup plus simplement, humblement, la vie s’organise depuis des lustres de façon qui nous échappe… uniquement parce que nous avons décidé une fois pour toutes que nous étions supérieurs.
Ce n’est pas mon avis et ça ne risque pas de le devenir !
Randonneur
Ecoutez s'il vous plait, la 3° symphonie de Gorecki en lisant ce texte. Vous la trouverez dans "airs de sérénité. S'il vous plait seulement...
Très jeune, j'ai pris l'habitude de marcher. Je fais partie de cette génération où la marche fait partie de la vie: on se rend d'un lieu à un autre
en marchant et non en véhicule. Dans tous les endroits où je suis passé, j'ai eu besoin de les découvrir en marchant, de tous temps jusqu'à aujourd'hui. Mon parrain et sa femme, Jean-Claude et Annick, m'ont initié
à la randonnée et m'en ont fait faire un peu en montagne. Je suis devenu accro. Je ne sais pas si vous le savez mais produire un effort régulier et raisonnable vous fait produire une hormone, l'endorphine, qui vous apporte bien-être
jusqu'à la pleinitude parfois. La marche est de ces efforts là. Mais aussi, il est quelque chose d'envoutant durant la marche, c'est la découverte du monde avec une grande précision et à la juste vitesse à la fois
du temps qui passe et celle de la vie là où vous vous trouvez. Par la marche vous découvrez, vous apprenez des mondes merveilleux. Le tout petit, le plus secret se montre au marcheur--si tant est qu'il ne fasse pas de bruit--cela tient
au miracle. En marchant la lumière glisse mil et une choses sous vos yeux, elle déploie ses forces d'irisation du monde, elle magnifie tout ce qu'elle touche. Le vent vous apporte les odeurs qui vadrouillent alentour et vous enivre. L'eau, qu'elle
tombe ou qu'elle coule se fait tour à tour pépite, miroir, kaléïdoscope... Le soleil, qu'il brûle ou qu'il caresse, fait changer la couleur de ce qu'il touche, souligne un détail ou vous éblouit pour vous les faire
englober d'un regard; il écrase ou élève ce qu'il veut encenser ou réduire. La terre enfin vous porte et vous accompagne partout où vous posez les pieds et donne aux paysage des allures différentes selon qu'elle
est blanche, ocre, brune, dorée, grise...
Marcher est assurément une des plus grande puissance qui ait été donné à l'homme, même si trop souvent il l'a oublié. J'ai parcouru, je ne sais pas, peut-être des milliers de kilomètres. Jamais aucun ne me parait semblable à un autre. Il suffit qu'il soit un autre jour pour que tout change ou presque. Mes plus grands émois, je crois que je les dois à la marche, la randonnée. J'y ai connu des partages inouïs, j'y ai refait le monde avec des amis autant qu'avec des inconnus... qui ne le sont plus devenus, forcément! J'ai résolu des quantités incroyables de problèmes, j'y ai effacé de très profondes douleurs morales. J'ai eu une épouse, Bénédicte, qui a beaucoup marché avec moi; elle disait: "marcher me vide la tête par les pieds". Elle a tout a fait raison. Et pourtant, en marchant, si l'on peut se vider, on s'emplit aussi souvent.
Assurément, à ce jour, ma plus belle réalisation de randonnée--mais il y en eu bien d'autres, rassurez vous--a été le tour du Mont Blanc en 8 jours. Cela a été une expérience fantastique. J'en garde à l'esprit, d'une simple rêverie, des souvenirs éblouissants. C'était en Juin 2011. Aujourd'hui, je ne sais si cela va durer, je ne peux plus marcher comme je le voudrais. C'est une profonde blessure. Mais je ne désespère pas de randonner de nouveau. Un de mes buts est l'ascension du Mont Blanc, oui, encore lui! Plus je vieillis, plus je souffre et plus je m'éloigne de ce rêve. Mais une chose est certaine: je la ferai--si je la fais--avec des gens que j'aime. J'ai l'envie de les porter et qu'ils me portent aux nues...
les roses...
...font partie de moi depuis mes premiers jours.
J'ai dit à quelle époque je suis né. On peut, je pense, l'appeler le mois des roses. J'ai dit aussi que mon cher Papa était pépiniériste-rosiériste. Là où il travaillait à l'époque de ma naissance, son patron lui louait un logement sur les lieux de l'entreprise. Quand il nous a ramenés à la maison, ma mère et moi, c'est donc au milieu de champs de roses que l'on m'a déposé.
Cela aurait très bien pu n'avoir aucune incidence sur ma vie. Seulement voilà, mon Papa est un de leurs admirateurs. Il s'est même dit qu'il était un des plus grands connaisseurs des roses et des rosiers en Europe. Lui même m'a souvent énoncé: « rien ne peut m'émouvoir comme une rose ». Il m'a donc inoculé sa passion au fil des jours, de l'éducation qu'il m'a offerte, fait partager ce tendre penchant. Et comme il était très érudit et excellent pédagogue, je n'ai pu faire autrement qu'épouser sa passion.
Je ne suis pas comme lui un spécialiste des roses. Mais un amoureux, en revanche, c'est certain. Je ne me rends pas même compte que les roses me détournent de mon chemin: détour pour en regarder une de près, écart de pensée pour m'attacher à la beauté de sa corole, égarement des sens pour venir humer la délicatesse de son parfum, oubli de mes compagnons du moment pour plonger mon regard dans un massif resplendissant, incartade à l'égard du bon droit pour en cueillir l'une dont la couleur joue un accroche-cœur dans mon paysage si sage d'ordinaire et pour l'offrir à une belle ou simplement pour ma boutonnière... Il est mille autres raisons qui me pousse hors de mon sentier pour succomber à leur charme. Je suis un arpenteur de roseraies, il suffit d'un simple carré, un parterre de rosier pour me porter au bonheur.
Cela ne s'explique pas—si l'on excepte le fait que j'ai été bercé dedans—et ce ne sont pas non plus les épines qui garnissent les tiges qui les érigent vers le ciel qui parviendront à m'en détourner. Car je suis de ceux qui tiennent pour ordinaire et juste que la beauté détienne aussi la manière de se défendre. La nature est ainsi faite, et elle ne fait pas exception pour la rose, qu'elle nantit la grâce de perfides aiguillons et je lui en reconnais le droit, éperdu aussi que je suis d'elle, dans toutes ses formes d'expression.
Il n'y aurait rien de prétentieux, je souhaiterais à mon trépas être enseveli sous un parterre de rose, couché au préalable sur un lit de leurs pétales, embaumés de leur parfum. Or je sais la rose éphémère et vagabonde, je préfère être comme elle, poussière lâchée au vent pour continuer, après moi, de l'accompagner, lui servir de substance, à elle comme à tant d'autres êtres et choses...
Est-il besoin de le dire...
...Quand on se promène sur ces pages? L'une de mes grandes passions est la puissance d'expression de la nature. Que ce soit dans l'inertie des choses quand elle se fait, justement, ce qu'on nomme communément nature—végétaux, reliefs, minéraux, que sais-je encore—ou dans le mouvement que prennent les éléments—air, feu, eau, terre parfois aidée par l'homme—tant que dans son expression la plus vivante, mobile que sont les animaux.
Imaginez alors un peu de mon plaisir lorsque je vais en des lieux où nombre de ces éléments sont réunis! Et ce que je trouve extraordinaire, c'est que fréquemment, comme si elle ne voulait pas que l'on verse dans l'extase absolue, elle nous oppose une incomplétude au regard de tout ce qu'elle peut nous donner à voir. À la montagne il est courant de manquer de la valse des flots et inversement, sauf en peu de lieux, la mer se meut au devant de paysages assez plats. Dans telle partie du monde vous verrez les éléments se déchaîner et point ou presque de vie se manifester et là ou foisonne la faune les étendues se font sages, immobiles et les éléments souvent fois au repos.
Cela, à mon sens, touche à la perfection. On ne goûte vraiment pleinement les choses que lorsqu'elles se trouvent imparfaites, incomplètes. Sinon, toutes beautés réunies, passé l'instant de la surprise, du constat de la complétude, plus rien ne nous resterait à découvrir, à quérir. Alors que, éléments manquant, nous trouvons tout admirable et n'avons de cesse que de trouver ce qui manque. Enfin je dis nous: moi, plutôt devrais-je dire, car il ne peut m'être permis de parler pour les autres.
Mais n'allez pas pour autant croire que je me montre insatisfait. J'aime cette allitération dans l'incomplétude. N'est-il pas merveilleux d'avoir sans cesse à courir après ce qu'on aime?
Mais la nature est autre, également. Elle montre beaucoup et si l'on se veut attentif au réduit elle se révèle tout aussi généreuse. Je pourrais citer moult exemples de ce qu'elle m'offre à voir et qui m'ont ravi. Tenez, en ce moment le soleil joue avec les nuages et les ondées, ou l'inverse, pendant que je suis en train de vous décrire ses caprices. La lumière se fait éclat et l'instant d'après d'ambre, de brume, brune. Elle me joue un concerto plus sûrement qu'un musicien le ferait dans son art. Et ce duo d'éléments là, s'écrivant sur la transparence de l'air, jamais je pense je ne pourrai l'ouïr ni m'y mirer encore.
Dites-moi? Connaissez vous sujet à plus belle passion?
Des joyaux...
...sont venus inonder ma vie.
Cela vient de très loin, j'avais huit ans environ, pas plus de dix en tout cas. Tout frais moulu de la ville, même si connaissais bien le monde campagnard, j'ai eu l'heur d'aller y vivre et errer en tout lieu, sans barrière. Je connaissais les cailloux. Mais pour moi, ils étaient gris ou couleur sable, parfois marrons.
Un jour que j'allais, désœuvré, sur un coin de terre que cultivait mon père, mon regard a été attiré par une étincelle. Puis d'autres.
Une autre fois, dans la cour de la maison que nous occupions en collocation, je m'étonnais devant la couleur des pierres, couleurs si diverses, textures variées. L'autre homme de la maison, un ferronnier-mécanicien me regardait faire. Il a compris mon étonnement. Sans m'en souffler mot il a organisé en accord avec mes parents une visite familiale dans une carrière. Si j'avais vu déjà des pierres à cristaux épars dans les coins de la cour, je ne pensais absolument pas qu'il put en exister en des endroits proche de chez nous. Dans cette carrière j'ai été littéralement émerveillé et je fis collecte de trésor. En fait, rien de bien extraordinaire, rien qui eût de la valeur. Mais mon esprit venait de se forger une velléité de recherche. De ce jour il ne fut pas de semaine sans que je cherche dans les replis de la terre quelque pierre admirable. Quelques livres bien choisis sont venus compléter mon attrait. Je collectionnai quelques pierres.
Bien plus tard je me suis intéressé aux cristaux et autres pépites de réelle valeur. J'ai aujourd'hui une vingtaine de pierre précieuses et les largesses que je peux m'offrir viennent tous les ans enrichir ma petite collection.
Parfois, je m'offre aussi un bijou, comme cette bague à deux facette, saphir vert et diamants d'un côté, opale et diamants de l'autre. Une folie pécuniaire... mais que je ne regrette absolument pas.
Que notre bonne vieille terre ait pu des lustres durant fomenter de telles merveilles me laisse pantois, ébahi...
Le seul bémol que je me vois forcé de mettre à cet engouement c'est quant aux conditions d'extraction de tous ces joyaux, l'exploitation éhontée de l'homme par l'homme pour une course au trésor qui laisse tant d'esprits et de corps sur le bas côté de la route.
aimez-vous...
… manger?
Je dois dire que j'ai été de ceux qui aimaient
très particulièrement. L'âge aidant, j'ai pris un peu plus de «largeur» et je dois aujourd'hui faire attention. Néanmoins, j'aime toujours, quand même, mais plus qu'en tout ce qui est de l'art de la table, c'est
cuisiner qui m'aspire le plus sûrement.
Il y a tout d'abord le fait de choisir. Que vais-je faire et aussi—cela compte énormément—à
qui? La quête des ingrédients est une chose particulière. Il faut imaginer, ressentir par avance ce que vont donner les mariages: légumes, fruits, épices et condiments, viande ou poisson, et le boire. Tout ne se résume
pas d'ailleurs à un seul plat. J'imagine parfois un repas comme une symphonie. L'ouverture en donne le thème principal, le goût qui se dégage va se trouver décliner ensuite en variations. Cela se peut dès l'apéritif.
Vous avez par exemple l'hypocras qui recèle son ton d'épice principal. Vous en retrouverez, à des degrés divers dans tous les plats. Il est les mouvements. Certains se montrent audacieux, souvent gais au départ, plein de
notes quelque peu aigües pour fondre ensuite dans la langueur, des notes salées, sucrées déclinées en douceur. Et tant d'autres évolutions.
Avec mon meilleur ami, nous nous lançons quelques fois dans un de ces grands repas que l'on rencontrait au dix-neuvième siècle. Généralement, sept plats les composent. C'est beaucoup mais c'est
peu. Et puis, savez-vous, il n'est point utile de rassasier, bien au contraire: un goût, un mariage doit inviter à la rencontre d'un autre. Nous choisissons régulièrement un thème à notre composition. Nous cherchons
à rappeler un lieu, une époque. Cela posé, nous jetons notre imagination en conciliabules. Nul autre que nous deux n'a le droit de les partager. Et le concerto commence. Nous commençons notre partition chacun de notre côté.
C'est notre note personnelle. L'un, l'autre, nous avançons à pas de loup avec à l'esprit ce que va fomenter l'autre en son antre. Nos cuisines respectives sont des alcôves, des réduits ou se chuchotent les notes graciles,
mais aussi les tons profonds des percussions. Et puis vient le temps du duo. Comment vous dire ce qu'est un plaisir de se retrouver deux? Sans compter que pour la cuisine ce ne peut-être très commun. C'est que notre amitié ne se retrouve
pas qu'autour de la table. Nous aimons marier nos savoirs, nos envies, nos subtilités. Et puis nous aimons être nous deux. Il se fait de belles choses en ces moments là, un jour et demi, deux jours pour ces grands repas, mais point seulement
cela; il se fait l'alchimie de l'amitié. C'est une expérience sans égal. Nous jouissons de l'être ensembles. Il se dit que lorsque nous œuvrons tous deux en cuisine, il n'est de place pour personne d'autre et en même
temps que c'est un plaisir en soi de nous voir nous accorder autour des fourneaux. Ils sont rares ceux qui ont vus nos accordailles, mais tous nous en ont conté leur joie de nous voir ensemble.
Et puis se fait à côté la table. Même de la dresser nous a demandé concertation: il ne faut point de fausse note. Jusqu'au décor, jusqu'à la musique que nous
mettrons en sourdine a été décidé, en accord ou suggestion avec chaque plat. Les murs même, puisque je peins aussi, se voient habillés de toiles choisies pour inspirer ou pour dépayser.
Enfin, il est le repas. Que dis-je? Le festin! Et là aussi s'est joué par avance la note finale: nous avons décidé des auditeurs de notre
œuvre, ils participent à la composition, la communion.
Elle ne sont pas nombreuses ces fêtes, mais combien les gouté-je!
Derniers commentaires
Bonjour Etienne j'aimerai avoir de tes nouvelles,je peins toujours
Amitiés Suzanne
j'aime vos aquarelles ou l'on peut frôler la sensibilité dans la touche fondue ou émane le mystère
quel plaisir ce voyage a travers vos mots qui nous laisse un gout miel et d'encore
Merci beaucoup Anne