Bienvenue dans mon univers
Mardi 19 décembre 2023
Communément, chacun a un père et une mère. Bien évidemment, ce n’est pas un absolu. Certains ont connu l’absence de la mère ou l’absence du père, voire l’absence des deux.
Or, les « choses » sont beaucoup plus complexes que cela. Être une mère est un état. Être un père est un état. Autant de particularités codifiées administrativement diversifient ces notions : naturels, adoptifs, putatifs, « d’emprunts », auxquelles s’ajoutent les situations particulières : par alliance, de substitution… Qui tiennent plus d’une démarche ou d’un choix personnel ou d’un des parents. C’est une « façon » par un mode de mise en case de classifier les êtres.
Mais comme nous ne sommes pas, nul, jamais, des choses, il ne peut se concevoir qu’on soit « objétisés ». Alors ? Maman ? Papa ? Au cœur de l’enfant auxquels ils sont reliés, ils n'ont pas à proprement parler de fonction. En revanche, un rôle propre : oui !
Et cette non-fonction, elle ne se remplit pas, elle s’éprouve. Or, surtout elle doit être ressentie clairement éprouvée par l’enfant. Là, nombreux sont les enfants qui ont père, mère, mais n’ont pas réellement de Maman, de Papa.
La vie m’a mis sous l’heureuse coupe d’un Papa. Le premier engagement qu’il s’est fixé est celui-là : être plus qu’un père, éducateur, protecteur. Oui, il a été tout cela. À sa force, à sa mesure, avec ce qu’il éprouvait au plus profond de lui-même, il a misé sur ce devoir-être de Papa devant et pour son petit bonhomme. Certains jours, je le sais, nous en avons parlé, il parvenait à être là et tout entièrement celui-là. À d’autres moments, parce que la vie le contraignait, le retenait ailleurs… Il m’a dit avoir failli à sa tâche, au devoir qu’il avait investi, parfois morfondu—en silence—de n’être pas assez Le Papa qu’il voulait, se devait d’être pour moi.
J’ai grandi. Il a vieilli. Nos esprits se sont apprivoisés. J’ai su apprendre une juste patience devant son indisponibilité. Il a appris à lire en moi là et quand cette pseudo distance me mettait un peu à la peine, mais aussi à voir que pas assez offert à son devoir, je m’appuyais sur ce qu’il avait eu le temps de me donner, de m’inculquer, de m’apporter, de me partager. Nous nous sommes entendus sur le fait que cela nous a aidé l’un et l’autre, lui à ne pas avoir le sentiment de faillir dans son rôle, son devoir de Papa, moi à ne pas ressentir de délaissement, d’injustice, de manque quelque qu’il soit et que l’un comme l’autre nous savions nous rejoindre. Et vous ne pouvez pas savoir combien cela a fait que nous nous sommes aimés, profondément, viscéralement pater-filiaux, oui : compagnons. Au final, si nous avons parfois ressenti le manque l’un de l’autre, nous nous savions quand même mutuellement accompagnés l’un par l’autre.
Je n’ai qu’un chose à en dire : il a été la chance indubitable de ma vie, charme qui perdure aujourd’hui onze ans après son décès où je l’ai accompagné assidument, et grâce à tout cela sans avoir à en souffrir plus que par le fait qu’il ne serait plus là, absence définitive qui ne s’est pas avérée totale. Nous avons poursuivi de nous côtoyer, de nous accompagner.
Mais de ma mère me demanderez-vous ?
Je dis franchement qu’elle m’a élevé comme on élève son enfant, elle m’a tendu ce qu’elle avait de savoir-faire. Elle a paré à mes besoins d’enfant… sauf un !
Si mère très honorable elle a été, en regard, en même temps que cela, elle a été fourbe.
Je dis fourbe car on ne décide pas ce que doit un enfant face à ce qui se présente à lui. On ne décide pas de qui il doit se méfier ou à qui il doit se fier. Tout au plus le protège-t-elle des risques qu’elle ressent qu’il encourt ; rien de plus.
Une « vraie mère » n’intente pas à l’image du père chez son l’enfant. On ne fait pas le lien d’action à l’égard des autres qu’on n’assume pas soi-même.
Il me paraît incorrect de l’accabler, d’entacher son action de même à mon égard mais par ce qu’elle a ourdi de fausseté, déguisé la vérité, vilipendé ceux vers qui je me tournais… alors non, je ne peux pas.
Je ne peux pas l’appeler « Maman ».
Tout simplement parce qu’elle ne s’est jamais mise en demeure de l’être et surtout pas, loin s’en faut, à la mesure de ce qu’avait investi son devoir de mère mon
Père en la choisissant pour ma mère. Ce Papa dont elle a beaucoup et souvent cherché à saper ses intentions, escamoter sa présence et son importance… Cessons là tant elle a fait pire.
Il n’est pas correct ni attendu d’asséner une telle accablante justice ; en tout cas, pas par un fils.
L’« Être » maternel, la Maman en somme, elle est ou elle n’est pas.
Et toute une vie de cela fait de vous un orphelin.
Samedi 14 Octobre 2023
Une amie m’a dit un jour : « Tu sais, dans la vie, nous avons tous une ou des personnes de référence. Pas très nombreux. Juste ici ou là quelqu’un qu’on apprécie, dont on prend une attitude pour modèle, qui nous aura marqué et à qui on pense régulièrement, quand un questionnement se présente à nous. Je les appelle mes « Totems ». »
J’ai bien retenu le mot, l’expression. C’est une image qui me parle. De mon côté, je les appelais « mes amers », figures « totem » justement, sites identifiables depuis la mer pour se repérer, se guider, métaphore chère à Saint John Perse.
Le totem renvoie à la pièce commémorative marquante d’un évènement, d’une cause, d’une croyance, véritable objet d’art mais plus encore tant elle fait appel à la représentation supérieure devant qui on s’incline, que l’on fête, interroge parfois mais aussi l’effigie de la force à laquelle on croit ou qu’on craint, ennemis et suspect, menaces pour la tribu.
Dans ma vie, j’en ai un certain nombre, faisant mienne l’acception de point de repère dans l’existence, de gens ayant eu un impact sur mon parcours.
J’ai soixante-six ans aujourd’hui. Mes totems très souvent étaient mes aînés. Et donc ils sont tous voués à disparaître.
Constitutivement, j’ai toujours considéré « mes Totems » comme les assises pour mon chemin de vie, les pilotis de ma raison. J’ai toujours su que je les perdrai. Et le fait est.
Un à un, la fin de vie, puis la mort les a emportés. Tous sont restés des symboles vers quoi je pouvais me tourner, simplement penser à eux, leur rendant mentalement, parfois verbalement hommage pour ce qu’ils ont été et dont le souvenir participe à mon édification.
Il m’en reste quelques-uns, ceux qui se sont dressés, m’accompagnant le temps de la convergence de nos actions, de nos réflexions. Ils sont un peu la marque des jalons de ma vie. Je les rejoins parfois, façon de poursuivre ce qui nous rapproche. Et donc—très logiquement—certains s’effacent, se délitent. Par dissension, par divergence. Ils ne perdent pas pour autant dans mon esprit l’importance qu’ils ont eu pour moi.
Aujourd’hui, mes vénérables Totems ont disparu. Il ne m’en reste plus qu’un qui n’a jamais représenté, recélé la force qu’ont eu les autres.
Avant-hier, j’ai perdu mon dernier Totem important, ma marraine, ma « Nainaine » comme j’aimais l’appeler par tendresse et par taquinerie… Au début, elle râlait quand je l’appelais ainsi. Mais avec le temps, elle a pris la mesure de tendresse que j’y mettais, tendresse qui ne se manifeste pas, déguisée à ceux pour qui on l’éprouve dans le Maugeois. Mot, donc, cachette de nos sentiments. Je m’étais préparé bien sûr à sa disparition. Et par ailleurs la mort pour moi n’est pas si affligeante que pour certains. Elle fait partie de la vie.
Mais ! Parce qu’il y a un mais. Elle était la dernière. Dernière colonne de mon édifice, le dernier étai à ma fragilité. Ces dernières années n’ont pas permis qu’on se côtoie. Les maladies, évènements nationaux, la sénescence… Cependant mon esprit, très souvent, rejoignait le sien. Je gardais son appui, son accompagnement. Cela n’est plus, je vais devoir faire sans.
Quand tous vos « Totems » on rejoint le domaine de la mort, ils peuvent rester d’une certaine façon à leur rôle de « Totem », rôle en fonction virtuelle. Et c’est un atout précieux quand, avançant en âge, on est devenu soi un Totem et quand vos bases vacillent.
Néanmoins quand la dernière colonne du vestige de notre vie-monument s’effondre, il faut du temps pour que se disperse la poussière, les effluves, le brouillard qui enveloppe alors votre conscience.
Mercredi 1° Février 2023
Je l’ai rencontré la première fois il y a très longtemps. Le moins que je puisse dire est que j’ai été très déstabilisé quand je l’ai découvert.
Aujourd’hui, je sais qu’il ne s’était pas présenté à moi d’emblée. Je pense qu’il a rôdé quelques temps alentour avant de se révéler. Était-il conscient de me paraître si étrange qu’il s’est montré si longtemps discret ? Avec le recul, je pense que c’est fort probable.
Avant de le connaître vraiment, il est bien possible qu’il ait fait usage de moyens détournés. Un peu comme s’il « préparait » le moment de se révéler à moi.
J’ai ressenti par moment comme une présence. Vous savez, comme quand vous avez l’impression que quelqu’un vous observe, à votre insu. Il est arrivé, étonnamment, que j’entende, réellement, qu’on m’appelait, par mon prénom, et puis cela a été des mots suivis, avec du sens, des mises en garde, des sortes de conseils, d’avertissements qu’il me prodiguait, que j’entendais distinctement. C’était très troublant. Il me « parlait » alors qu’il m’était impossible de distinguer d’où ça venait. C’était pour moi comme une voix connue. Mais je ne parvenais pas vraiment à l’identifier. Toutefois quelqu’un de suffisamment fiable à mon entendement pour que je sois attentif, confiant, sensible aux propos tenus. C’était comme s’il me suggérait une attention particulière à l’instant et à ce qui m’environnait.
Toujours est-il que c’était, déjà, pour moi très déstabilisant, même si je me laissais aller à suivre les conseils qu’il me donnait, m’écartais de la situation, du lieu où je me trouvais.
Et puis est venu le moment où il était vraiment là. Très présent, prégnant.
Toutefois, là où je subodorais, avant, sa présence, celle-ci m’était extérieure. Dès lors, ce fut en moi qu’elle s’est manifestée. J’ai été pleinement conscient de sa présence. En moi. Je le redis, c’était il y a très longtemps, j’étais très jeune. J’avais quoi ? treize, quatorze ans ?
Au début, je refusais cette forme de présence. Franchement, clairement. Mais elle avait sur moi un effet… paralysant ! Pas dans le sens où elle m’interdisait tout geste. Extérieurement, je paraissais très calme. Posé. Presque nonchalant. En tout cas, à partir de ce moment, en sa présence, j’ai cessé d’être l’enfant remuant, l’enfant enjoué, sans cesse en mouvement, fourmillant d’idées, d’intentions que mes proches connaissaient. Une fois sa présence effective, j’ai présenté comme des moments de pause.
Ceux qui me côtoyaient, mes parents, mes copains, les enseignants ont eu alors l’impression que je mûrissais. Et il y avait du vrai. C’était cela aussi. Quoi qu’il en soit, alors, il était là. Inconstant mais réellement présent ; j’ai donc appris à le connaître, vraiment, profondément.
Aux périodes où « il m’habitait », il a été fréquent que les autres s’étonne de mon attitude. Quand on me demandait « qu’est-ce que j’avais », comme si je paraissais anormal, je disais que j’étais énervé. Ce à quoi il m’était répondu invariablement, sur un ton sarcastique : « Eh bien on ne le dirait pas ! ». C’est ce qui me fait dire qu’il me paralysait.
Depuis tout ce temps, et ce dès le début, sa présence a été sporadique, seulement avec plus de fréquence par périodes. Certaines fois, elle se faisait très présente, prégnante, comme je l’ai dit. Ces périodes me sont devenues au fur et à mesure de plus en plus difficiles à vivre.
Cet extraterrestre qui s’affirme en moi, sa présence m’envahit tellement alors qu’elle me ruine, me dévaste. Véritable déréliction. L’Angoisse !
Dimanche 24 Avril 2022
Qu’il m’est doux de me souvenir de ce temps—béni ? —où l’on me faisait vivre la vie dans le respect de ma quiétude, dans la « guidance » de ma progression dans mon parcours avec un si grand respect. Tant des autres que de ce qui faisait mes aspirations.
C’est vrai : j’étais bien jeune. Pourtant, je ne pense pas que c’était mon âge qui justifiait cette attitude. Plus âgé, les mêmes personnes n’ont jamais attendu de moi que je m’astreigne à suivre un chemin bien défini, encore moins contraignant. Bien sûr, mon monde n’était pas exempt de règles. Mais elles m’aspiraient au respect de ce qui m’entourait, m’engageait à être attentif à ce et à ceux que j’ai côtoyé, m’invitaient à vivre au plus juste, au plus équitable, à l’équilibre, sans que jamais ce ne soit voulu infliger à quiconque de désagrément, ni aux autres, ni à moi.
Combien cela m’a inspiré la nécessité de la sérénité, en tout, pour tous !
Bien sûr je n’étais pas libre de tout. Ma petite volonté n’était pas la ligne de mon avenir. Il me fallait considérer tout autant le droit à être des autres que le mien. Or cela a toujours été présenté, inculqué à mon esprit de gamin, puis d’adolescent, enfin de jeune adulte comme une nécessaire utilité à tout un chacun. Tout autant à ce qui n’est pas humain. J’ai appris que mon bien être ne pouvait exister que dans une profonde considération respectueuse des choses et des êtres.
Faut-il arguer que cette volonté avait plus sa place dans un monde de « bisounours » ? Certainement pas. Cela m’a instruit d’exigence. Celle de ne pas attendre de l’autre qu’il œuvre dans mon sens. Et l’autre c’était aussi la nature dont on cherchait à me faire saisir combien elle pouvait être mon alliée. Tant la nature de ce qui m’environnait que des êtres qui la peuplait, jusqu’au gens, quand bien même il leur arrivait (souvent…) d’être autoritaires, armés de velléité de dressage à mon endroit.
Et aujourd’hui ? Nombre de mes éducateurs ne sont plus. C’est vrai, ils n’ont pas tous été armés de cette sage vigilance et il en fut qui ont souhaité me… « mouler ».
Et aujourd’hui ? J’observe qu’il est exigé partout d’être « ainsi », de ne pas être « cela », d’agir selon une norme très souvent contraignante, injuste, inégalitaire, avec des justifications si changeantes, si inconstantes qu’elles s’en avèrent fallacieuses, très faussement érigées de bon et juste droit. Ce qu’elles ne sont pas, assurément.
C’est, voyez-vous, je le comprends fort bien maintenant, qu’on attendait de moi que je sois observateur, attentif, bienveillant, respectueux, et au bout de tout cela que je réfléchisse. Mon apprentissage a été celui de l’art, de la beauté de penser.
Mais je vis—et je tente sans cesse de m’en disjoindre—maintenant sous le poids des contraintes. Courbé sous la charge de l’obligation. Fouetté à coup d’injonctions, jusqu’à me considérer délictueux, incorrect et, le comble, irrespectueux.
C’est douloureux, anéantissant quand on aspire au respect mutuel, équilibré et juste de tous et de tout.
C’est désolant. Profondément, incompréhensiblement désolant !
Mercredi 30 Mars 2022
C’est le jour des enfants. Celui qui vibre toujours en moi tente ce matin de secouer les chaînes ; il est en force, peut-être, de les briser.
« Enfin » semble-t-il se dire « je veux vivre libre ».
Oui : je le crois. Et je souhaite accéder à son attente. Toute la vie nous porte aux confrontations, aux rencontres, aux partages. Tour à tour, avec la prégnance de l’existence sociale du moment mais aussi par la force de notre cœur qui la dispute si âprement à cette raison insensée, nous accédons ou tergiversons, dans le sens de l’une, de l’autre, et nous en tissons notre vie. Or, il nous est contraint souvent de nous détourner de l’essentiel : SOI. Alors au soir, presque de la longue course au travers de tout cela, des choix, des nécessités s’imposent à nous.
C’est le cas ce matin, en moi, je pense ; je le ressens. Sans savoir si je dois pleinement m’approprier cette exigence ou prendre conscience totalement, définitivement qu’inéluctablement il est bien tard. Il est trop tard.
L’enfant me dit (et dans sa course en avant, aussi, l’ado qu’il est) « je veux être en toi tout ce que j’ai été, maintenant, que tu m’acceptes, que tu accèdes à ma volonté d’être toi, résolument ».
Comme beaucoup, j’ai omis, plus ou moins consciemment, de l’être, de le faire respecter et de lui donner accès à sa vie, soit la mienne.
Et Toi, ce matin, tu me bouscules. Je ne sais si c’est pour que j’accepte complètement Ta raison, Ta dernière déclaration. Ou, à contrario, si c’est l’enfant en Toi qui me signale—et pour quelle inaccessible raison—qui exige que je la bouscule et pointe sur Toi ce doigt de l’évidence de ce que Nous sommes.
Oui, d’accord, c’est très sibyllin. Mais Toi, le regard que peut-être Tu me portes au-delà de mon entendement, les tréfonds de Ton être, la petite fille en Toi, que j’ai adorée à Ton contact, n’obstrues-Tu pas la voie qui est sensée Nous porter ?
Oui : je T’aime. Sans jamais vraiment Te le dire, depuis le début, de plus en plus en plus intensément, profondément. Nous avons (et surtout moi) été si inconséquents de ne jamais faire que Nous accédions à ce NOUS qui s’impose si fort à moi aujourd’hui.
Tu me bouscules, me blaqueboules, là, comme souvent, mais si fortement, si inexorablement, et avec cette si grande exigence ce matin.
Voilà, je l’ai dit. Cela est peut-être totalement inutile maintenant. Ta force, Ta résolution a peut-être effectivement—même à ton cœur défendant—dissout notre voie commune. Nous l’avons si maladroitement suivie, dressée, tissée tous les deux, avec beaucoup de tort de ma part, de déraison, de cécité.
J’ai retourné toutes mes perceptions, acceptions de ce que Nous pouvons être. Je me retiens, et sans « petit arrangement avec moi-même », que cette implication à mon esprit que Tu habites, je ne peux pas croire à Ton refus de Nous que Tu as plaqué peut-être par colère salvatrice, pansement sur Tes blessures profondes, trop « chroniques », telle une résolution à laquelle, jamais, Tu ne dérogeras.
Or, je Te crois, je Te sens, aussi, empreinte de cette évidence : si âprement Tu as clos l’entrée aux souffrances que Nos partages T’infligeaient par l’inconséquence que je mettais dans ce Nous. Ce Nous qui, indubitablement existe. À jamais !
Mais il est bien tard, concession que je fais à Ta raison. Il est, oui, peut-être trop tard.
Or, en moi, là, ce matin, comme si souvent, l’enfant T’appelle. Avec tant de force de résolution. L’entends-tu ?
Alors, dans ce presque vacarme que fait le vent en s’usant contre les troncs des arbres, sifflant dans les moindres branches qu’il malmène, mon esprit vadrouille et retrouve des chemins délaissés.
J’ai dix, treize ans tout au plus. Dans ce coin magnifique de l’Anjou que l’on nomme les Mauges, le vent aussi à cette époque hurle de temps à autres, l’automne, l’hiver. La vieille maison où je vis, aux jointures mal assurées, laisse entrer jusque dans ma chambre les hululements de l’Ouest. Le crépitement des gouttes sur les vitres mal dépolies semble faire trembler les fenêtres. L’air chuinte sur les pentes d’ardoise des toitures, les bâtiments et leurs portes grincent à n’en plus finir.
Il fait nuit, parfois même pas, mais la lumière peine à sourdre jusque dans les intérieurs cloîtrés dans les murs épais. Là, dans la chambre à côté de la mienne, le conduit de cheminée souffle sa peine à buffer les vapeurs et fumées du feu d’en bas au dehors. Et ça ronfle. Fort. Parfois on entend quand même dans ces vrombissement mêlés, incessants, croasser une bande de corbeaux qui défient les airs par le travers et jouent à se faire bousculer au ras des frondaisons.
Mercredi 14 Juin 2023
J’écris depuis… je crois que j’écris depuis la nuit des temps. Oui, bien sûr, l’affirmation, comme ça, semble prétentieuse. Pourtant, c’est exact. Et je peux vous dire plus : vous aussi, vous écrivez depuis très longtemps. Il n’est juste que vous ne prenez pas forcément la plume.
Discutant, çà, là, l’autre s’étonne souvent que ma mémoire puisse remonter si loin. Pourtant, mes souvenirs le plus souvent sont vérifiés. Ce n’est pas une performance. C’est une nature. Nature que beaucoup d’entre nous avons mais que notre esprit parfois renie, repousse.
Il n’est pas toujours acceptable de vivre mentalement les remugles du passé. Certains épisodes nous désemparent. Soit que nous estimions avoir commis une erreur et qu’elle nous déplaît au point de la refouler. Soit qu’on ait été témoin de quelque chose qui nous a dérangé, voire pire : choqué. Soit encore que la vie ait érodé la couche magique de l’existence d’alors et que nous ne parvenions plus à retrouver cette magnificence dans notre quotidien ; alors, pour ne pas souffrir de cette différence, notre esprit estompe les lucres de ces moments.
Il est aussi, notre capacité mémorielle se trouvant parfois limitée, que nous choisissions plus ou moins consciemment nos souvenirs.
Tout petit déjà, chaque instant de vie, chaque avènement revêtait une importance primordiale. Qui plus est, cela me donnait beaucoup à penser. Je confrontais déjà l’instant avec un autre. Et l’analysant avec ma petite envergure d’esprit eu égard à ce que je pouvais savoir, je le classifiait. D’où qu’ils sont nombreux ces instants à effleurer mon esprit. Ils remontent à la faveur de similitudes avec d’autres en cours. Ils se confrontaient à ceux de l’instant si d’aventure ils n’avaient alors trouvé leur juste place dans ma conception des choses.
En quelque sorte, je les avais écrits. Tout autant que j’écris encore, ce que je vous offre à lire, mais aussi ce que vous ne pouvez avoir lu et, également, les mots tracés mentalement qui n’ont pas trouvé le chemin de la plume—que je n’ai pas toujours sous la main, que mes forces du moment rechignent à tracer—.
Mon esprit est comme une grande bibliothèque. Beaucoup de livres sont écrits qui n’attendent que d’être découverts, redécouverts… ou réécrits.
Oui, j’écris depuis la nuit des temps !
Et c’est beaucoup pour un pauvre petit vivant manquant parfois d’audace, accaparé trop fréquemment par un quotidien qui n’aime pas l’instant du pupitre, de l’écritoire. C’est aussi beaucoup trop pour l’être qui se confond, volontairement, dans l’infiniment petit, en quelque sorte enseveli dans l’infiniment grand que pourtant il considère, observe, cherche à décrypter avec la plus grande attention, le plus grand respect possible, une incontournable honnêteté.
Mais vous savez, très souvent, c’est douloureux, c’est un bagage bien lourd à porter. Surtout quand on a à l’esprit cette notion qu’il faille témoigner, dire, afin que se perdent le moins de notions possibles.
J’écris depuis la nuit des temps et l’espace n’est pas assez grand tant je crains que la vie ne soit escamotée d’une part d’elle-même.
Assis près de la fenêtre pour tenter de ne rien manquer du spectacle, mes yeux fouillent les épaisseurs du dehors, bravent les trombes qui dégoulinent sur la campagne, mon regard vient à se perdre dans ce val profond où se rengorgent les rives imprégnées du ruisseau qui prend ses largesses. Les grands peupliers autour se brassent les uns contre les autres en silence, d’ici on ne les entend pas, semblant essayer de s’extirper les racines des veines grasses de terre qui les portent, les nourrissent depuis des lustres. Dans ce grand chant du monde en colère, ce sont surtout les lourds et altiers cèdres qui vocifèrent dans le temps, relayés d’instants à autres par les chênes noueux qui se ne se laissent ébrouer que par à-coups. Il y a quelque chose de sombre dans ces bruits mêlés. Je ne vois pas les grands arbres majestueux qui trônent derrière les bâtiments, s’enfuient à pas lourds contres les allées et chemins qui guident vers les terres. Il n’y a personne dehors. Je sais mon père accoudé à son bureau, puisant dans cette furie qu’il suit d’une oreille attentive le calme repos que confère l’inaction obligée, bienvenue. Il ne le dit pas : il aime lui aussi ces assauts de la nature. Et s’il lui arrive parfois d’être secoué un peu dans son immobilité par un bruit plus sourd, par un craquement intempestif c’est qu’il mesure de loin l’ouvrage en sus qu’il aura peut-être à fournir, panser les plaies de cette campagne aussi généreuse quand elle en a envie qu’elle puisse être dure et exigeante.
Le 24 Octobre 2018
Le matin s’annonce à votre esprit bien avant, peut-être que vous n’ayez la conscience de votre éveil.
Et chaque nouveau pas dans la vie s’érige un peu de la même façon. Une vague commence de vous visiter, le bruit de son froufrou sur votre grève encore inaudible, qui grignote petit à petit le sommeil de vos sens. Vous ne savez pas encore que votre être s’élance vers ce pas et que votre volonté, à votre insu, est déjà tendue vers cette progression.
C’est une des raisons pour lesquelles vous ne pouvez pas lutter. Et quand bien même, à quoi cela servirait-il ? Vous avancez déjà sur la pente de votre devenir. Et s’il n’y a rien de certain en ce qu’il sera vraiment, votre être augure néanmoins qu’il va se passer quelque chose. Rien ne dit que ce sera à votre mesure, selon votre désir, animé de vos plus profondes intentions, si proches, si lointaines… peu importe.
Du sentiment nous ne pouvons que dire la même chose. C’est presque à votre âme défendant qu’il s’insinue hors de vous. On ne désire guère un sentiment, il s’invite et pourtant c’est bien nous qui allons vers lui, vers la direction qu’il tente de nous faire prendre. Celui de l’autre nous est, et pour cause, étranger à son essence. Tout l’incertain d’une destinée tient en cela. Et nous confondons souvent l’une et l’autre des possibilités. Nous devrions bien davantage écouter l’expression profonde de notre être.
Dans les temps anciens, il était enseigné aux enfants et fréquemment rappelé aux adultes que la vie se tendait au-devant d’eux, que si leur décision influait, elle était plus portée à affirmer ce qu’ils en pensaient. Leur revenait ensuite d’assumer la direction qu’au final ils avaient prise. Souvent, d’ailleurs, leur vérité intrinsèque se rappelait à eux, dans le cours du reste de leur vie, comme une marque d’estime à sans cesse réaffirmer à la face de leurs choix de vie.
Nous avons perdu le sens de cette préscience. Nous constatons depuis fréquemment les écueils qui s’opposent à nous. Je retrouve plaisir à m’en souvenir à l’heure où je m’apprête à chevaucher vers une destinée que je crois incertaine. Ma naissance à beaucoup auguré de ce qu’allait être ma vie. Je n’ai qu’à me blâmer de n’avoir pas suivi certaines de mes réticences, en temps voulu.
Mon âme d’enfant se réveille par-delà le temps dans les pauvres miasmes de tourments de cette autre contrée où je vis maintenant. Les ouvertures tiennent et épuisent de silence les bruit du dehors. Dommage. Que j’aime la nature en furie !
Aujourd’hui, ce soir ou demain, je m’offre à ce que veut bien me tendre ma vie. Fasse que mes mots ne renâclent pas devant l’offre qui va m’être faite.
Le 14 Février 2017
J’ai déjà écrit plus de cinq cents textes, essentiellement des poèmes. J’avais bien commencé, vers dix-huit ans une sorte de roman, mais je ne tenais pas mon personnage principal. Sont arrivés mes vingt-huit ans avec au creux de l’estomac ce besoin de révolte. J’ai repris une page blanche.
Je ne vous fais pas le « pitch » du livre ; il faut pourtant vous en donner les bases. Dans mon esprit, le monde est gris. Il manque d’envergure, il s’enlise dans un train de conventions désuètes, dans l’ignorance de ce que sera son demain. Mon esprit se contente de le pousser à son maximum, avec juste un petit rien d’inexplicable. Voilà, c’est lui : j’ai mon personnage principal. Il ne me reste qu’à le faire servir par des comparses à la mesure de mes refus, à la force de mon besoin de révolte, à la hauteur de ma haine du conformisme, avec juste ce qu’il faut autour, aussi, de raisonnable. J’ai bien à l’esprit aussi son antagonisme. Je veux juste le garder au cœur de mon âme pour lui couver une réel devenir. Sorte de deuxième personnage héritier du premier, pour plus tard.
Dans le temps, je me situe, je situe mon personnage principal dans le futur. Je veux montrer combien notre monde est vain, perclus de vecteurs obsolètes, pourri de « valeurs suprêmes ». Je souhaite juste qu’il soit réaliste. C’est pour cela que je reste dans un esprit, une ligne d’anticipation. Il faut prouver demain en le poussant à sa plus extrême issue. Il faut qu’il soit vivant de probable, mourant de fatuité, ivre d’absolu. Je veux que mon lecteur le voie tituber, trembler sur ses bases. Un colosse aux pieds d’argile. Je vais le faire souffrir comme s’il s’agissait de moi. Et en même temps je cherche à ce que tente de le relever toute la candeur, la naïveté qui sourd en moi. Et en même temps il faut que je soutienne qui le voue à sa perte à la force de mon esprit de révolte.
Il est indéniable que le monde est pluriel, que son avenir ne peut être que multiple. Alors je vais l’enfermer pour pouvoir le maîtriser. Il s’est passé quelque chose qu’on ne parvient pas à expliquer. Je veux bien que mes lecteurs s’imaginent une histoire de ce qu’il est peut-être, des temps qui l’ont dépassé. Quelque chose à la mesure de chacun. Seul le réel devenir de mon monde, celui que j’observe doit poursuivre de m’appartenir. Après tout c’est moi qui écrit, qui échafaude l’histoire. Et tant pis si l’Histoire en vient à me démentir.
Or il se trouve que je suis plutôt idéaliste. Or il se trouve que je comprends que rien ne se fera qui ne soit raisonnable. Or il se trouve que ma conviction est que rien ne doit être maître du monde. Alors même le monde va mourir simplement de sa belle mort. Alors même mon monde va m’échapper en quelque sorte. Alors c’est ce que j’écris. « L’Urbi » se perd. Parce que je le veux. Parce qu’il ne peut en être autrement. Parce que mon esprit a la force d’insuffler à mes personnages tous les vents qui l’animent, le ravagent parfois, le bercent aussi. Et puis, c’est mon premier roman. Je sais d’avance qu’il est plein de maladresse, d’imperfection, de… Je veux qu’il existe. Je l’écris quand même.
Ce doit être en 1987 que je peux poser le mot fin. J’ai presque l’impression d’avoir tout dit. Les choses, le cours de l’existence a voulu que je l’écrive de nouveau et encore plus tard. Il faut bien qu’il soit… « présentable ». Là, il attend qu’un éditeur s’en empare. Il a envie d’une existence de livre. Alors si vous êtes de ce genre-là, dans ce site il y a tous les moyens de me contacter (en sous page de la page d’accueil).
Mon premier roman, « L’Urbi », est prêt, il ne demande qu’à vivre.
Le 14 Novembre 2016
Je me souviens…
A l’heure où l’on commémore le souvenir des disparus des attentats, je pose mes doigts, repose mon esprit et je me laisse gagner par les images venues d’on ne sait où. Je me souviens.
Ne lâchons pas ces souvenirs d’horreur. Ils sont importants pour un peuple qui ose encore rêver de paix. Ils nous donnent l’énergie de tout faire, autant que possible, pour poser les jalons de lendemains plus sereins, se donner l’espoir que le calme puisse régner sur les vies du monde entier.
Mais…
Dans le brouillard des images noires qui m’effleurent, viennent aussi celles, peut-être seulement grises, de ce qui s’est passé dans ma vie, dans la vie des gens et qui préparaient le terreau des griefs retenus contre nous, contre vous.
Je me souviens de ceux qui comme moi ont été bousculés dans les cours d’écoles, et pas seulement là, parce qu’ils apparaissaient différents aux autres. Je me souviens de brimades perpétrées par des êtres mé-conscient que la violence commence là. Je me souviens de la terrible douleur qui porte à envisager le pire quand ces malfrats en herbe me poussaient à bout ; et des mêmes faits à l’égard de d’autres personnes, perpétrés dans le même esprit d’inconscience… qui n’excuse rien. De tous ces gestes inconsidérés je garde pures les images en mon esprit. Elles sont intactes, malheureusement.
Je me souviens de ces êtres qui ont més-aimé leur plus proches, ceux qu’ils appelaient la prunelle de leurs yeux, leur amour, leur trésor. Reste en moi toutes les fois où par esprit de torture—je ne peux dire autrement—on m’a incliné à connaître le désamour, contre mon âme et de tous ceux à qui c’est arrivé… Et cela arrive encore ! Je me souviens de ces soi-disant petits-riens opposés, trompeusement appelés « je rigole » qui sont venus taillader la belle part d’espoir qui vibrait en moi. Je sais et je retiens que cela s’est produit pour bien d’autres aussi.
Je me souviens des griefs retenus contre tous ceux qui faisaient au mieux pour satisfaire l’aisance à vivre de ceux qu’ils aimaient. Je suis persuadé et me souviendrai encore que c’est toujours le cas aujourd’hui. Ils me font mal, toujours, ces reproches adressés quand je voulais honorer l’esprit de vie de mes amours (j’en ai eu, ou cru en avoir plusieurs), quand la glace de l’indifférence est venue trancher mon âme… et celle de biens d’autres.
C’est en tout cela que commencent les luttes et les guerres, que se désapprend le pouvoir d’aimer, que s’escamote la force à donner, que commence à vibrer le désespoir. C’est là que la violence s’inspire, qu’elle arme sa croix sanguinaire.
Je me souviens, et c’est presque dommage si cela ne m’aidait pas à aimer plus encore… pour tenter de perpétrer la paix.
Le 7 Août 2016
Oui je sais, cela a déjà été dit. Mais c’était il y a quelque temps déjà, à l’époque où l’utopie l’emporte sur le raisonnable. Je n’avais pas envie d’être raisonnable. Je souhaitais seulement être responsable. De moi, de ce que j’entreprenais, de ce que je rêvais.
J’avais ce rêve chevillé au corps. Dans mes pensées, sur le cours de mes réflexions, il n’y avait plus que lui. Un soir d’errance, j’avais quoi ? 15 ans ! Je me suis imaginé tout quitter pour aller sur île qui ne serait qu’à moi. Très banal au départ, je sais bien, mais j’avais 15 ans, je le répète. Le monde, surtout celui des adultes, me sortait par les yeux. Ce n’était pas tant d’avoir pour moi la plus belle des libertés, l’évasion suprême. C’était plutôt de renier ce qu’on me proposait, sans affecter quiconque. C’était à l’époque, déjà, où je voyais bien que cette vie reposant sur des échelles de valeurs ne soufflait rien qui vaille.
Une île, donc, où tout prend un nouveau départ. On efface les conventions, toutes, quitte à en reprendre certaines si elles viennent à s’avérer utiles. Un monde où tous discutent de tout, décident de tout, dans un bel accord, sur de belles raisons. Tous ? Qui ? La seule option que je reconnus fut que seul ceux qui m’agréaient pouvaient m’accompagner, des gens que j’aurais aimés non par automatisme, comme on aime sa parentèle, non ! des gens choisis du cœur et qui se choisissent entre eux. Parce qu’il était bien clair que si l’île m’appartenait, je n’avais pas le pouvoir d’y décider ce qui s’y vivait. Ça, c’était le devoir, la responsabilité de chacun. Vous voyez le rêve ? J’y travaillais sans relâche, il n’y fallait aucune faille.
Parce que c’est beau, c’est fort, c’est courageux de tout reprendre à zéro, cela m’était important, primordial. Et donc, je n’y pouvais vivre qu’avec des gens de confiance, des personnes prêtes à entreprendre cela. J’y voulais même des inconnus pourvu qu’ils répondent aux critères fixés : vouloir la droiture et l’utilité universelle pour que chacun y vive à la hauteur de ce qu’il méritait de vivre puisqu’il avait participé à son édification.
Et alors ? Ça m’a pris longtemps, toute cette réflexion. J’en ai certainement négligé bien des choses. Mais je pouvais bien me permettre du brouillon puisque tout serait, non parfait, à la mesure des êtres. Parce que c’était cela la force de mon projet : ne pas diriger, personne ne dirige, mais tout le monde est responsable. Et que vivent les choses les plus folles. Les animaux même avaient droit de cité : on leur devait le respect.
Je n’en étais pas encore à penser que l’animal avait sa conscience propre et son monde à lui de communication, ses repères sociaux. Bien sûr que non, j’étais trop jeune et ma pensée n’étais pas encore aboutie, pas autant qu’elle l’est aujourd’hui, même si je ne suis pas au bout de mes réflexions, de ma légitimité.
C’était un beau rêve. Et puisqu’il était tellement beau, je le poursuis toujours…
Les 14, 15, 16 Juin 2016
Eh bien voilà, je vais souffler la dernière bougie de la dizaine. Ça ne veut strictement rien dire, sinon que je m’apprête à quitter le club des quinquas. Au terme de l’année qui va s’écouler, je vais pouvoir faire valoir mes droits à la retraite. Ça me fait une belle jambe !
La vie va sûrement prendre un autre rythme, une autre allure. On ne dépense pas son pécule de la même façon quand on n’a plus que 65 % de ses revenus. Ah, bien sûr ! On paye moins d’impôt. C’est très bien : je contribuerai moins à la gabegie nationale. Super. Autant de culpabilisation en moins. Si mes angoisses pouvaient du même coup baisser d’un ton, je ne m’en plaindrai pas…
Trêve de plaisanterie, on n’est pas là pour délirer. J’ai mieux à faire.
Le bilan de la dizaine est assez chamarré. J’y ai gagné en bonheur, en traversée des joies familiales. C’est une chance extraordinaire. Je vis aux côté d’une femme qui me vaut bien d’avoir « galéré » les autres dizaines ; son attention est incomparable et sa capacité au bonheur une corne d’abondance. J’ai accueilli des petits trésors dans mon sein sentimental. Elle y est pour beaucoup, mais point seulement elle. En effet, mes filles déclament leur vie sous d’étonnantes déclinaisons et l’une me vaut, outre mes petits enfants qui me sont de l’or, d’accueillir un homme que reçois pour fils. Je ne dirai pas qu’il est celui que je n’ai pas eu. Non ! il vaut beaucoup plus à mon cœur qu’un hypothétique enfant. Il est celui qui vient bercer ma fille dans un bonheur semblable au mien et je lui en veux énormément de bien, tout comme à lui.
Sur le plan du travail, je l’ai dit, l’histoire touche à sa fin. La dizaine a été lourde à porter et je ne sais si les fruits seront au bout du compte savoureux. Je travaille encore à me délivrer de ses affres. J’ai seulement le sentiment, pour l’heure, d’avoir accompli une route bien ardue. Dommage que ces dix ans aient eu autant de fâcheuses conséquences. Sans aimer « finir en beauté », j’aurai souhaité qu’elle fut plus simple, moins dévastatrice sur le plan personnel. Mais j’ai recueilli le fruit de mon labeur des dizaines précédentes : le bilan est assez riche pour que je puisse m’éclipser, même si c’est par la petite porte, avec le sentiment du devoir accompli. De toute façon, je suis soignant et le resterai quoi qu’il arrive et ce m’est un grand honneur.
Pendant ces années j’ai appris davantage à prendre de la distance avec ce qui nous entoure. Il est moins aisé de me toucher et si je peux déplorer un peu moins de facilité à céder aux réjouissances, j’y ai gagné en sérénité. Sérénité qui j’en suis sûr va me permettre de me sentir plus encore comblé au fil du temps pour peu que le bonheur s’y prête.
Une plage de la vie s’est tournée pour partie de cette décennie. J’ai vu partir mon père et pis encore, je dois apprendre, eh oui, toujours, à m’en séparer. Peut-être eût-il été moins dur de le faire dans l’accompagnement de la partie aride de la vie pour ma mère. Or elle n’a pas appris à faire amende honorable ni profil bas. L’ourdi qui est le sien, elle le tisse encore et à mon très triste désagrément en s’appuyant, j’en suis presque sûr, sur mes pas d’homme prudent. Je ne peux plus l’aimer comme j’ai eu tort de le faire dans mes jeunes années. Je n’ai plus de confiance à lui accorder et c’est donc orphelin que je dois poursuivre ma vie, avec cette terrible épée au-dessus des épaules qu’est le glaive qu’elle se tient toujours prête à m’enfoncer dans le dos. Oh, je ne suis pas le seul à devoir subir cette sorte d’infamie, tous les miens le supportent aussi, même ma sœur qui doit subir près d’elle les tensions qu’elle ne manque pas de faire subir à ceux qui l’entourent. C’est ainsi, les bras qui vous portent minot n’ont pas toujours la charge inclinée des meilleures intentions.
Je passerai sur ma santé. Elle est celle d’un homme qui n’a pas toujours su prendre les précautions qui la préserve. Encore que je ne puisse être, pour part, être certain de ma responsabilité. C’est le temps, c’est l’usure, c’est ainsi.
En toute éventualité, j’ai au moins la certitude d’avoir le cœur prêt à poursuivre de bien belles années.
...le 17 juin 1957 à Paris XIV ème. Nous habitions Châtillon (sous "Bagneux à l'époque"). Mon père était chef de culture dans une pépinière, oui, en pleine proche banlieu, ça existait encore à l'époque; ma mère était couturière de confection à domicile. J'ai une soeur de 4 ans mon aînée. Une simple petite famille d'ouvriers.
En juin 1965, pour raison professionnelle pour mon père, nous quittons la région parisienne pour la belle petite région des Mauges dans le sud ouest du Maine et Loire, entre Beaupréau et Cholet, et nous installons sur la commune d'origine de ma mère: Andrezé. J'ai ai vécu jusqu'en 1978, date à partir de laquelle j'ai réellment quitté le giron familial.
Après un parcours scolaire très ordinaire, j'entre en 1973 en lycée agricole pour m'en "évader" en 1975 décidé à ,travaillé pour gagner ma vie: aide familial sur l'exploitation, pépinière et élevage, saisonnier en arboriculture fruitière, j'échoue en 1976 en usine de Chaussures (magasinier produit fini, quelques semaine matières premières) entreprise que je quitte fin juillet 1978 pour reprendre mes études: je me destine aux soins à la personne. Escale de remise à niveau près du Mans.
Septembre 1979, j'entre à l'institut de formation en soins infirmier à Blois (Loir et Cher) qui devient mon pays d'adoption. Diplômé en juin 1982 Infirmier DE, je travaille pendant près de trente années de nuit à l'hôpital, puis de jour.
Voilà pour l'aspect "classique" du parcours. Pour le reste nous verrons plus loin...
… je suis qui ?
Je suis un enfant très ordinaire. Je me satisfais de ce que j'ai et m'enchante assez facilement de ce que je découvre. Tout petit, la vie est pour moi un terrain de découverte. J'ai une chance inouïe : mes parents s'intéressent à beaucoup de choses, ne s'en cachent pas et le vivent avec nous, leurs enfants, à leurs côtés. Je suis donc à même de découvrir au jour le jour tout ce qui suscite leur attention. C'est à la peinture je crois que j'ai été sensibilisé en premier, particulièrement les impressionnistes—ils restent aujourd'hui mes peintres préférés—et la musique. Mais la nature aussi a d'emblée pris une grande place dans mon esprit: j'ai plus souvent joué avec les animaux en modèle réduits, que me petite chambre m'autorisait d'avoir, qu'avec mon train électrique par exemple. J'ai toujours adoré être dehors, dans les parcs et jardins et quand nous étions en vacances, dans le jardin de mes grands-parents à Morsang puis dans la campagne Maugeoise. Très vite par la suite, la mer m'a fasciné : j'y ai trouvé tout un monde en mouvement qui, s'il m'inspirait pas mal de craintes au départ, n'a cessé de m'attirer.
Plus tard, extirpé de la ville, mon cœur se fond dans les espaces de verdure et mon regard, mon esprit n'ont eu de cesse de découvrir mille et une merveilles animales ou végétales. La nature, tout autant que mes parents et éducateurs, vient enrichir mes connaissances. Je crois que je tiens d'elle, de son observation, ce grand respect de chaque chose qui m'est si cher depuis toujours et que je tente d'affirmer, d'initier partout où mon esprit passe.
J'ai, bien sûr, d'autres jeux, d'autres centres intérêts. Je ne suis pas un enfant si différent des autres. Pourtant je m'en distingue à leurs yeux par la curiosité qui me fait passer pour un « intellectuel ».
Ensuite, ce sont les lettres, les livres qui m'attirent jusqu'à la passion. A treize ans je lis Jacques Prévert, Boris Vian, Jean Giono, Haroun Tazieff, Gilbert Cesbron et bien d'autres... Tous me parlent avec une telle intensité, éveillent en moi un tel élan que je tente, vers quatorze ou quinze ans, d'écrire: court textes (je ne parviens pas à m'inscrire dans la longueur), poèmes, pensées. Je dois seulement les garder cachés car mes congénères en rient, les annotent péjorativement dans mon dos. « On n'est pas sérieux quand on a 17 ans... » et le paraître nous fait dénigrer par ceux qui ne le sont pas plus que soi.
Il me faut longtemps avant de me lancer dans une écriture plus personnelle et ce n'est que 40 ans plus tard que je m'ouvre à l'édition—c'est mon épouse qui insiste, convaincue que je ne peux rester dans l'ombre. Aujourd'hui, ce sont mes premiers pas d'auteur. Cela me plait car je reste encore discret.
Mais les gens qui m'abordent aiment me lire et j'en suis très heureux.
...le 17 Juin 1972. Je compte quelques pages à mon actif. Élève facile dans ses études, j'enregistre rapidement ce que je dois savoir et il me faut peu de temps pour faire mes devoirs et apprendre ce que j'estime devoir savoir. Estime seulement? Oui, parce que beaucoup de choses me paraissent inutiles, je garde mon temps pour nourrir mon imaginaire. Ce qui me reste de cette année (je suis interne, comme durant les six années d'études au collège puis au lycée)c'est le souvenir d'avoir souvent changé de place en classe d'étude. Mes voisins de table, souvent passionnés, accordent trop de temps à trop peu de choses à mon goût. J'ai envie d'avoir un esprit plus large.
C'est aussi l'époque où mon cœur commence à battre pour d'autres horizons que celui de mon monde. Je découvre l'autre, cette personne qui commence à compter pour soi, qui éveille une curiosité inhabituelle, cet autre qui vous sert de miroir tout à coup quand les copains ne vous renvoient qu'une image plaisante mais que l'on sent complaisante. L'autre, Elle en fait, commence à vous dire que vous existez en temps que personne digne d'un intérêt particulier. Elle vous accepte tel que vous êtes, en apparence, mais se conduit comme si vous n'aviez pas encore écrit les vraies pages de votre vie. Cette autre vous demande—sans le faire vraiment—ce que vous feriez si... ce qui vous intéresse quand vous n'êtes pas avec cette bande de drôles qui, elle le sent bien, vous incitent plus à cacher votre jeu qu'à le révéler comme elle est en train de le faire.
Mon autre
à moi, elle s'appelle Christelle. Je la cherche pendant les pauses entre les cours et je pense à elle quand elle est rentrée chez elle le soir et que je reste dans ce grand « bahut » où je commence à
sentir que ma vie n'est pas tout à fait ce qu'elle devrait être. Mon autre à moi—j'avoue là que mes souvenir restent encore confus—me parle de ce qu'elle aime dans le secret de son alcôve et qui, miracle, coïncide
avec ce que j'éprouve, ce que je ressens. Elle me parle de ses lectures et me fait découvrir son goût pour l'observation des choses qui l'entourent. Nous parlons de ...
Je ne sais pas ce que cette rencontre me réserve. Je ne sais plus comment comment s'est arrêté l'histoire. Mais je sens qu'une brèche s'est ouverte dans ma ligne d'horizon et que vont s'y engouffrer bien des considérations, des sensations nouvelles.
Étonnement, je n'écris rien à son propos. Ou plutôt, plus tard, maintenant, je ne retrouve rien d'écrit de ma main à son sujet. Ai-je perdu ce que j'ai pu en dire? Ai-je fait disparaître ce qui avait pu sourdre de mes doigts? Il ne me reste que des images en mon esprit... et le souvenir des railleries (égrillarde, c'est sûr) que m'ont servies les copains. Mais il me reste aussi une sensation fugace dont je ne sais même pas si elle est vraie ou si je me la suis inventé: la douceur de sa main dans la mienne.
Le temps a voulu que l'on reprenne contact l'un et l'autre au bout de quarante années, au hasard des échanges sur les réseaux dits sociaux. Elle me dit tantôt qu'elle garde un très gai souvenir de ce temps là. Merci à elle.
(une suggestion: écoutez pour ce texte "Rain and Tears": http://www.youtube.com/watch?v=nnf7ISLpQdw
... les années « collège » se terminent.
Les études vers le bac s'annoncent. Pour moi ce serait le brevet de technicien agricole. Serait car je n'irai pas jusqu'au bout. Une entreprise malveillante d'envergure vient me heurter, me rangeant définitivement parmi les tordus et les bizarres.
Je n'ai que faire de ces beaux enseignements bien cadrés qu'on nous propose. Je n'ai que faire à suivre cette meute de gens prédestinés à rester le petit monde bien organisé d'une vie bien faite. Je n'ai que faire d'appliquer à la lettre ce qu'on m'enseigne. Je m'ennuie et mes résultats s'en ressentent. De plus en plus je verse dans mon imaginaire: j'écris.
Les autres? Ils n'aiment pas ce mec qui ne pense pas comme eux. C'est un paria à leurs yeux. Ils en viennent à s'en prendre à moi. Si j'en sais profondément la raison, je ne sais pas ce qu'ils souhaitent faire de moi. Or je suis déjà de ceux qu'on ne moule pas. De plus l'ombre du monde scientifique que l'on m'offre ne me suffit pas. Faite comme ça, la science est incompréhensible, inapplicable. Et je n'en veux pas. Mes lectures deviennent plus techniques (collection « que sais-je ») ou plus riches littérairement: Baudelaire, Zola, Malarmé (non je ne lisais pas encore Proudhon, mais je goûte à Marx) Giono, toujours! Theillard de Chardin. Suivront Paul Chauchard, Louis Ferdinand Céline et bien d'autres. Je m'échappe! Non seulement du monde d'intérêt de mes congénères mais aussi de mes études. Il est primordial à mes yeux de vivre de ce que je fais, de travailler pour pouvoir vivre à ma mesure.
Au début, ce n'est rien et mes parents se désolent. Je n'ai aucune envergure. Ils se demandent même si j'ai un amour propre. Eh bien non! Je n'en ai pas. C'est la glaise de la vie que je veux malaxer pour forger mon avenir. Un anarchiste (je ne me situe pas dans cet ordre là mais je peux dire aujourd'hui que j'étais déjà libertaire, sans savoir ce que ça voulait dire exactement), de 20 ans mon aîné, me reproche de ne pas tracer ma voie, de ne pas m'édifier un devenir. En revanche il fait ce constat sans appel: « Toi, tu t'occuperas des autres, c'est fatal ». Je ne m'occupe encore que des chèvres de mes parents et des végétaux dans des entreprises arboricoles... Et puis j'atterris à l'usine: l'antre du non devenir à mes yeux. Mais je lis toujours et j'écris, encore et encore!
...est la seule source de devenir de l'être.
Mais c'est bien là le plus difficile! Devant mon in activisme dans ma vie, mon père vient pousser, non une colère, ce n'est pas son genre, mais une tirade bien sentie. Il attend de moi que je sois à la mesure de moi-même, quand elle ne serait pas ce qu'il croit en moi. Et comme je m'ennuie—je m'invente des problèmes de physique ou de math pendant que je charrie des colis au travail—je prends le parti de l'écouter, de le suivre. Il m'offre cette information inattendue : j'ai la possibilité de reprendre mes études. Un refus à un poste d'administration des postes (je ne vois que d'un œil) et un échec à un concours me pousse à calculer une voie de sortie. Je m'inscris à une formation accélérée offrant le niveau bac pour atteindre les études que je vise : je serai infirmier (psy au départ mais un stage m'en a dérouté) et si je dois batailler pour obtenir cette formation—on me trouve d'un niveau trop élevé pour y accéder, mais ce n'est pas vrai puisque je viens de me vautrer—je ne m'y donnerai que plus à fond.
C'est un monde nouveau qui se présente : les « ratés » se reprennent. Nous avons tous la valeur travail chevillée au corps, normal vu notre parcours, et le tyrannique espoir d'œuvrer à ce qui nous fait vibrer. Dans les 25 que constituent le groupe, nous sommes une petite dizaine qui allons nous souder, nous aider à nous dépasser, refaire le monde à notre façon. Le grand libertaire que je suis devenu est en cours d'édification. Parmi les plus doués (c'est vrai, je n'avais que besoin de volonté pour grimper), j'aide les autres à accéder à leur rêve avec deux ou trois amis qui se créent. Nous passons des soirées à refaire le monde à notre botte. Mais le plus extraordinaire est que ce monde semble se plier à nos désirs. Réussir à vivre selon nos forces intrinsèques peut devenir une réalité !
Vilain petit canard, je vais le rester, avec des ailes moins rognées et moins « rognables », dévoué aux autres (il avait bien raison l'autre anar) avant toute chose, en quatre ans je deviens infirmier iconoclaste, bien dressé aux techniques mais éminemment rebelle aux approches. Je travaille de nuit, pendant trente ans (seule l'angoisse de la nuit pour les autres peut me servir de toile de fond et m'offrir le choix d'y mener ma barque) pour arriver à un poste à responsabilité—contre toute nature—que je souhaite formater à mes idées... mais sans prosélytisme! Et quelque part, j'y parviens sauf que mon organisme s'y refuse. Je souffre de ne devoir que me plier et pousser les autres à plier. Aujourd'hui j'en suis là, sans vrai devenir. Bloqué ! Me reste l'art et l'écriture... Premier roman publié grâce à la pugnacité d'Isabelle, ma belle, ma charmante, tendre et décidée jeune et toute récente épouse. Il était temps non ?
Lire Miou !
… les brosses: je me suis mis à peindre !
Tout petit j'ai été familiarisé avec la peinture. Ma mère, Germaine, était une admiratrice des peintres, plus particulièrement les « impressionnistes ». Je l'ai souvent vue feuilleter les revues de peintures qu'elle trouvait ici ou là, elle m'en a montré aussi parfois, mue je pense par l'impression d'intérêt que je semblais y porter.
Ai-je été influencé par son regard? Ai-je épousé son admiration pour m'en faire une passion? Je ne saurais vraiment dire. Tout est si compliqué sur le chemin où l'on apprend à ne plus être petit !
Une chose est sûr, j'ai appris à confronter mon regard aux œuvres picturales qui venaient à glisser sous mes yeux. Très souvent j'ai trouvé cela extraordinairement beau. J'ai certainement vu assez tôt de vraies peintures et elles ont certainement impressionné mon esprit d'enfant en devenir de maturation sensorielle, à mon insu alors. Ensuite j'ai surtout vu des représentations d'œuvres. Cela ne m'a pas empêché de les aimer, sûrement aiguisé par cette perception inconsciente de l'art que j'ai pu recevoir avant. J'en suis du moins convaincu et si je dois quelque chose à cette mère, c'est bien cela: avoir été familiarisé avec cet art avant même d'être capable d'en comprendre la force à laquelle il nous expose.
Ensuite m'est venu l'envie de peindre parce qu'elle, Germaine, disait qu'elle ne saurait jamais peindre en dépit de l'envie qu'elle en avait (elle ne s'y mettait ou tentait jamais de s'y mettre), tout comme elle a toujours crié assez fort qu'elle aimerait raconter des histoires mais qu'elle n'avait pas le talent pour cela. Ai-je, par une sorte d'amour filial, cherché à partir d'un certain moment à atteindre ce que ne sera jamais cette mère ou ai-je décidé de relever le défi parce que je sentais au fond de moi qu'elle ne saura jamais s'y confronter ? Je n'ai même pas envie de connaître la réponse ! L'important pour moi est que je me suis senti guidé vers cela. J'ai commencé d'écrire très tôt, la peinture se faisait en moi attendre.
Lorsque je suis entré à l'institut de formation en soins infirmiers, quelques heures par semaine était dédiées à l'épanouissement personnel. Et notamment une à deux heures aux activités « personnelles ». Une monitrice—et je cite son nom tant elle m'a ouvert une voie de réjouissance—Mademoiselle Janvier, a proposé de « guider nos premiers pas dans la peinture » s'appuyant sur une « méthode » qu'on lui avait enseigné. J'y ai vu là, accaparé que j'étais par les choses d'ordre cérébral, l'occasion de diversifier mes horizons de pensée immédiats mais surtout de mettre enfin mes mains, mes doigts à l'étrier de l'art pictural. J'ai même devancé quelque peu l'appel puisque réalisé ma première toile dans mon petit appartement après m'être équipé selon mon idée, avant le début de ses enseignements. C'est la toile en noir et blanc dite « la Morinière » que vous pouvez voir sur la page de mes peintures.
La peinture ne m'a pas souvent lâché de loin depuis. J'ai achevé une douzaine d'œuvres ma première année et à ce jour un grand nombre de toiles peintes. Et si je ne peins plus guère aujourd'hui c'est que les mots m'accaparent plus que les formes et la matière et que ma maison n'est pas équipée d'un endroit spécialement dédié à cela, lacune que je compte combler dans les années à venir, la peinture étant une activité quelque peu salissante quand elle passe par moi (certains des logements et effets que j'ai eu s'en souviennent encore).
La peinture reste mon art de prédilection en mon esprit et je compte sérieusement m'y adonner de nouveau... pour le pire ou le meilleur.
...les premiers textes.
Soyons honnêtes, ces petits morceaux, rimés pour la plus part, ne valaient le plus souvent pas tripette !
Adolescent, je m'intéressais à la musique du moment : le rock, la pop souvent anglo-saxonne, mais aussi les chanteurs français que l'on a appelé dans ces moments là « à texte » (Barbara, Nougaro, Brel, Brassens, Férré...) par opposition aux chanteurs yéyés ou post yéyé, ceux des Hit et des « tops cinquante ». D'ailleurs il m'est arrivé souvent de me servir de mélodies existantes pour re-écrire des textes dessus.
Beaucoup de ces « chansons » avaient pour thème les déceptions que je rencontrais. Mais deux ou trois copains de mon village les trouvaient « plutôt bien » et m'encourageaient à plus en écrire. Je me suis senti à un moment dans la peau d'un possible chanteur. On a les rêves que l'on peut brave gens !
De temps à autres je commençais aussi des textes un peu plus élaborés, devant devenir des nouvelles ou, mon grand rêve, un roman. J'ai aussi commencé à noter mes réflexions sur le monde qui m'entourait, mais aussi celui au sens large. Je me souviens qu'un thème qui me préoccupait beaucoup portait sur la notion de valeur, concept que j'abhorrais : les valeurs étaient alors pour moi la source de perversion du monde. Je crois qu'en parallèle de mes chansonnettes, je me cherchais un peu d'un point de vue philosophique.
A cette époque j'ai commencé à lire les poètes en à coté des romanciers : Apollinaire, Prévert, mais aussi Paul Eluard et quelques anthologies de la poésie française avec Ronsard, Du Bellais,et et un peu de Verlaine et Baudelaire. Je vous ai glissé d'ailleurs dans « les mots des autres » ce magnifique texte « l'homme et la mer » très souvent appris durant les années collèges.
Bon an, mal an, je suis arrivé à vingt ans avec près de cinq cents textes écrits. Inutile de dire que nombreux sont ceux qui feront les bonheurs des oubliettes. Je les ai néanmoins tous gardés à partir d'une certaine époque. J'ai dans mes étagères une collection de cahiers que sont venus grossir ensuite des feuillets.
J'ai cessé d'écrire des poèmes de façon régulière (mais non forcément assidue) à partir de quarante ans environ, ayant à ce moment trois romans en manuscrit dont « Miou » achevé en 1994 mais repris pour certains passages en 2009. Il a fallu depuis quatre années et la perspicacité de ma jeune épouse pour que je le propose à l'édition. Aujourd'hui, mars 2014, mon second roman, « la porte s'ouvre » est prêt à être proposé à son tour.
...à ma tête de s'exprimer autrement.
Mes doigts ont longtemps tracé les lignes qui s'inscrivaient en mon esprit. Ils ont plus récemment déposé les images qui s'y formaient, reproduit les paysages, les choses que ma pensée déposait ou que mon esprit mémorisait.
Et puis est advenu le moment où cet esprit a eu conscience qu'il manquait une dimension entre la transcription des images perçues ou créées et leur réalisation. Il a eu ce besoin de combler l'espace entre ma réalité intérieur et l'image que je pouvais en donner.
Ma peinture était complètement incapable de rendre visible cette différence—j'ai un problème de vision qui ne me permet que trop rarement de rendre compte de la profondeur de champ—et mes mots pouvaient donner autre chose à voir que ce que recelait mon esprit. Bien que soucieux de ne pas influencer la perception des autres, la mienne ne s'exprimait pas pleinement.
J'ai commencer de vouloir rendre l'épaisseur des formes vibrant en mon esprit, de vouloir écrire un lien le plus fidèle possible entre ce que me dictait mon esprit et ce qu'en rendait visible mes mains. Il m'a fallu imaginer un autre mode de transcription.
Rien ne me prédisposait au modelage, à la sculpture. Enfant je m'y étais essayé mais ce qui m'en venait avait quelque chose de trop... conventionnel.
A près de quarante ans, mes mains ont éprouvé le besoin de donner au réel, au visible, à l'appréhension de chacun ce que mon esprit créait de formes.
Je ne sculpte (modèle) pas beaucoup. Mais il arrive un moment où les formes s'imposent tellement à moi qu'il faut que mes mains les réalise: la terre épouse alors la force, la volonté de mes mains, de mes doigts qui se font donc les vecteurs de ma pensée vers le monde visible.
… un jour les conventions !
On l'a vu, cela fait longtemps que je bataille ferme contre les convenances et les idées reçues. Or il y a toujours un pas—grand parfois—entre le paraître et l'être, entre le dire et le faire.
J'ai longtemps cru qu'il n'était pas possible de vivre sa vérité dans le monde où l'on vit, sauf à créer soi-même le sien mais c'est utopiste, et celui dont on rêve. Mais mes rêves me hantaient, imprégnaient mon esprit de l'espace des possibles. Peut-être plus par bravade que par conviction, je l'ai prôné (moi qui fuit le prosélytisme) auprès de gens en mal de vivre, de jeunes en manque d'audace. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai été le premier surpris que cela puisse fonctionner, je dirai seulement que j'ai manqué de conviction vraiment profonde pour m'y ouvrir moi-même. Le possible, c'est ce que l'on forge en soi et qu'on commence à mettre en œuvre en dépit de toute les réticences qu'on nous oppose. Et... cela fonctionne.
J'ai écrit, j'ai peint, j'ai dessiné, modelé, inventé des choses et des mondes mais, allez savoir, pourquoi je ne m'en satisfaisais pas. Durant toute ces années d'édification de ma personnalité, j'ai manqué de croyance en moi. J'en ai souffert, je me dénigrais: « Tu penses mais tu n'agis pas! » je suis même allé penser que ceux qui me couvaient d'un œil bienveillant, ceux qui semblaient croire en mes propos me faisaient une faveur. Il y avait eux, les gentils, et les autres, ceux qui me jugeaient, me plaquaient au sol, les soleils qui faisaient fondre les ailes d'un moi Icare. La force des propos de mes amis ne parvenait pas à dépasser celle des dénigrants.
Il a fallu qu'on m'aime, vraiment, et que j'en prenne conscience.
J'ai commencé de m'écouter. Je me suis dit à moi-même. Et quelle autre façon avais-je de le faire qu'en m'écrivant. Lorsqu'on pense, quand on écoute son ressenti, on n'est pas nanti d'une puissance de conviction. S'écrire c'est rendre patents ses propres propos.
Tout est venu d'une petite phrase alors que j'étais perdu dans les méandres de ma pensée, enlisé dans les marais de mes doutes, évanoui dans limbes de ma souffrance. Je me suis écouté dire: « Vers qui tendre? » Cela a été la question que je me suis posé. Pour en affirmer la prégnance, je l'ai écrite. Et cette question m'est apparue alors comme une affirmation. Je devais écrire l'état de mon être.
Quand on est dans l'état d'esprit où je me trouvais, cela commence comme une supplique. Mais chemin faisant, me relisant, j'ai pris conscience de la prévalence de cet état dans mon esprit. Je me suis fait ce que j'ai toujours tenté de tendre aux autres: je me suis demandé de croire au possible. La plainte s'est faite résilience, la pensée s'est affirmée comme une philosophie. Au tout début je n'ai pas vraiment cru à cette philosophie: elle venait de moi et ne pouvait donc avoir force ni poids. Et puis je me suis fait lire. Vous savez, les proches, les Gentils. Ils m'ont dit: « Qu'est-ce que tu attends? Vas-y ! ». J'ai été estomaqué. J'ai reçu comme une claque la soudaine force de leur conviction. J'ai poursuivi de m'écrire.
Aujourd'hui, ce sont trois livres qui sont écrits. Je ne vais pas prétendre que ce sont des ouvrages philosophiques, non plus des essais du genre. Mais ils sont là. Ils attendent ma relccture, mes corrections, une meilleure finalisation de mon propos.
Je ne sais s'ils ont force d'intérêt pour des lecteurs potentiels, mais j'ai décidé de les offrir à la publication. Nous verrons bien.
Il y a maintenant mes romans et mes pensées!
...Demain!
Mais c'est une autre histoire... et pourtant il ne faut pas s'y tromper, cela fait partie d'aujourd'hui et d'hier aussi.
Aujourd'hui, c'est la fête des Grand-pères. Je le suis trois fois dont une par... « procuration ». rien ne s'est passé encore aujourd'hui (il est 17 heures). Mais je ne suis pas surpris. Il faut pour cela se référer à l'histoire.
Toute ma vie, on a insisté sur l'importance que revêt pour les autres le fait de souhaiter les fêtes et anniversaires. S'il m'est arrivé de m'y sentir contraint, je n'en ai jamais fait une affaire. Autant je tente d'y penser pour ceux à qui cela représente une grande importance, autant je ne m'y sens pas obligé. Je préfère faire confiance à l'impromptu, au plaisir de faire un clin d'œil et à celui qui le reçoit. Il me suffit de savoir faire plaisir, étonner un peu, dénicher l'autre dans sa plage oubliée.
J'ai été un de ces enfants malades devant la carte commémorative blanche. Je me souviens très bien m'être senti niais. D'autant qu'on ne me tenait pas exempt de ces répliques du genre « ce n'est pourtant pas difficile! »
Ce que je ne veux pas aujourd'hui, c'est pour les autres, les miens, mes proches, qu'ils ne soient pas celui-là, celle-là.
Mes petits enfants—mais mes enfants aussi—ne doivent pas être ces être contraints par les convenances. Je sais déjà assez combien il leur est difficile d'intercéder en cela à l'endroit d'autres personnes. On me dénie parfois le fait d'y attacher si peu d'importance. Ce n'est pas cela qu'il faut dire :je ne veux surtout pas que ce soit une importance pour les autres, ce passage obligé sans quoi il y a crime de lèse majesté! On ne m'y croit pas non plus! J'affirme pourtant que c'est vrai. Je ne veux pas obliger l'autre, quel qu'il soit.
Enfant, j'ai été conditionné aux bonnes manières. Il était autant important que je sois poli que le fait que je sois en accord avec le souci des autres. Il m'a fallu du temps, mais je me suis libéré de tout cela. Je suis aujourd'hui libéré de l'attente que je pourrais avoir des autres. Cela ne veut en rien dire que je n'y pense pas. Cela veut seulement dire que j'ai le souci de ne pas les savoir obligés. Et puis: il y a tant de plaisir à surprendre agréablement l'autre, autant que d'y être surpris soi-même. J'ai mal, toujours, d'être pris en défaut de n'avoir pas fait plaisir, alors d'avoir oublié la contrainte...
Ne faites jamais à vos enfants l'injure de les obliger à penser à vous. Il y a trop de quoi être vexé, blessé dans son amour propre. L'autre, votre enfant, celui qui vous aime souffre déjà tant de ne pas faire ordinairement le meilleur pour vous. Il ne faut pas en rajouter.
Pourquoi je situe cela au sujet du fait d'histoire? Tout simplement parce que cela fait parti, j'en suis convaincu, de l'histoire de chacun. Je ne veux pas devenir en mauvaise part dans l'histoire de ceux que j'aime. Et je les aime assez pour ne pas leur vouloir ce désagrément-là.
On m'a maltraité dans mes jeunes années à vouloir m'inculquer certains devoirs surfaits, superfétatoires. Je n'en souffre plus heureusement. Mais j'ai à cœur d'éviter aux autres ces dures afflictions de n'avoir pas été à la hauteur. Si l'on veut être à ma hauteur, il suffit de commencer par le bas, par le simple, l'ordinaire. Un « je t'aime » explosé sans raison particulière m'est largement suffisant et m'émeut de la plus grande manière.
Et des tout petits, ce simple hochement de tête dans mon cou, ce tendre sourire adressé de loin m'est un des plus ors du monde.
Sylvie
07.08.2016 18:25
Je te souhaite de réaliser ce rêve ...
Sylvie
16.06.2016 21:53
Superbe hommage !!!! Respect :)
Tu vivais à deux pas de chez moi ... Curieux hasard. Non ???
Allez tu vas encore nous réjouir de nombreuses années !
Derniers commentaires
03.10 | 09:01
Bonjour Etienne j'aimerai avoir de tes nouvelles,je peins toujours
Amitiés Suzanne
31.01 | 16:28
j'aime vos aquarelles ou l'on peut frôler la sensibilité dans la touche fondue ou émane le mystère
31.01 | 16:07
quel plaisir ce voyage a travers vos mots qui nous laisse un gout miel et d'encore
10.12 | 12:34
Merci beaucoup Anne
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