Bienvenue dans mon univers
Mercredi 20 décembre 2023
Un homme qui œuvrait toute sa vie de travail à une tâche de précision qu’il effectuait avec des outils acérés était très soucieux que nul n’intervînt dans son champ d’attention. Il tenait de son devoir de faire de la belle œuvre, ce qu’on lui demandait mais pour lui, en sus, que rien ne vint le distraire, détourner son attention au risque bien sûr de saccager l’ouvrage. Plus encore : de ne faire courir aucun risque à quiconque autour de lui.
Son fils qui aimait tant le voir usiner chaque pièce avec cette précision que son œil ne pourrait percevoir ne se lassait jamais de l’observer, de l’admirer. Le père, flatté d’une telle attention lui avait demandé une fois pour toute de se signaler clairement à son approche ainsi que de se tenir à la juste place où il lui serait aisé de ne pas bouger, garder une distance respectable afin de n’être pas exposé au coup d’un mauvais geste, d’une ripe involontaire, de ne porter ombrage tout autant que de ne pas détourner son attention.
Tout cela est juste, bon, compréhensible. L’homme garantit la qualité de son travail, assure de ne porter blessure ni à autrui ni à son ouvrage ni à lui-même sans pour autant nuire à l’intérêt que ce qu’il faisait tende à avoir autour de lui.
Ailleurs, il est vrai où l’heure est plus dédiée au sommeil, deux veilleurs sensément formés à veiller et à parer les troubles qui pourraient déranger le repos des êtres dont il leur a été confié la quiétude, mettaient un point d’honneur à ce que ceux-ci « dormassent dans les clous ». Je veux dire par là qu’ils concevaient clairement devoir intervenir si un patient ressentait un trouble douloureux, éprouvait une sensation qui fit penser à dysfonctionnement de leur organisme, porter secours en quelque sorte. Et ils satisfaisaient, d’autant que je sache, obligeamment leur tâche.
En revanche, et cela sans que ça nuise au bon repos des autres dès lors que nul bruit ni usage intempestif de la lumière, ils ne savaient semble-t-il prendre la mesure de troubles moins « criants » pour leurs malades, en l’occurrence.
Il n’était pas rare—et j’en faisais souvent partie—que certains se lèvent et errent dans les couloirs, silencieusement, cherchant à usiner leur insomnie. Ceux-là souffraient de troubles plus subtiles, quelques idées destructrices ou quelques manies ruinaient la quiétude de leur sommeil. Leur besoin, au bas mot, était qu’on les écoute raisonnablement, qu’on les rassure, sans déni, qu’on les accompagne un peu à faire le contour de la tache blanche venue interrompre leur nuit et leur tranquillité d’esprit, qu’on les guide vers des recoins plus paisibles de leur être ou tout simplement de se voir rasséréné.
C’est un métier, vous savez. Il y faut du discernement, de la patience, ne pas trop user d’injonction qui heurte le sommeil susceptible. Il faut savoir lire le mal, le dysfonctionnement qui ne dit pas son nom, décrypter le message voilé derrière une attitude qui semble incohérente.
Je ne dis rien à celui qui s’agace à répéter vingt fois la même nuit au même noctambule, tort dont le principal argument est qu’on lui porte attention, sans cesse. Je ne dis rien à celle, celui que la veille use et lamine la patience, tout enclin à subir les assauts du sommeil quand c’est l’heure, d’ordinaire, d’y céder mais que leur tâche oblige à tenir distant jusqu’à l’heure du petit matin, celle qui les libère enfin de leur travail. J’ai fait trente ans ce métier, je sais ce qu’il en est.
En revanche, je m’étonne quand on fait ce métier de bienveillance, de rassurer, d’écarter les miasmes qui trop chahutent certains esprits pourtant déjà si fragiles, je m’étonne qu’on ne pose pas sa pensée devant soi, qu’on y évince les reproches trop indus, les systématiques observances dans le but—et c’est là tout le métier—d’offrir à celui qui se présente tout chahuté dans son sommeil, dans son esprit, et qui aimerait couvrir ces vilaines sanies d’images apaisantes, rassurantes, d’une perspective bien affirmée d’aplanissement de son tourment.
Marchant à poser quelques mots qui me dérangeaient, silencieusement sur le sol, dans la pénombre, trompant mon souci à regarder quelques flocons de neige s’éparpiller dehors sous les lumières blafardes, je me suis vu intimer l’ordre de quitter séance tenante le lieu où je venais cueillir un peu de paix…
Et qui sait ? Peut-être inconsciemment étais-je à la quête d’un sourire, d’une phrase caressante, d’un peu de compréhension ?
Même si cela ne faisait qu’avancer de trop la pendule noctiluque…
Mais cela aurait été, sans fracas, déjà cela de gagné.
Samedi 16 décembre 2023
Petite femme chétive dont je ne sais rien ou si peu, un jour elle a chu au sol, se heurtant au front et à la joue. Elle a été prise en charge par le service de secours des urgences.
Elle nous est revenue le jour même, le front marqué d’une bosse grosse comme une petite paume de main avec un hématome, hématome également autour de l’œil et de la joue.
Les jours suivants, elle ne sortant de sa chambre que pour prendre ses médicaments et ses repas. Elle demandait souvent de l’aider dans ses déplacements et de quoi s’asseoir quand il lui fallait attendre à ces moments-là.
Je me suis efforcé de garder un œil sur elle lors des repas, non pas pour m’assurer qu’elle se nourrissait correctement mais pour m’assurer que rien ne lui manquait près d’elle. Je n’ai jamais eu à l’aider à marcher, me contentant de lui céder mon tour dans l’attente.
Certains jours, le soir notamment, elle se montrait très faible et vacillante, le regard perdu, dans le vide, parfois ne répondant pas lorsqu’on lui parlait.
Une fois en particulier, elle a très peu mangé et s’est souvent affaissée sur elle-même, le souffle court, plutôt pâle, autant que je pouvais l’évaluer malgré les hématomes. Ce soir-là, une légère cyanose affectait ses doigts. Elle semblait peiner à respirer, proche de la respiration de Cheynes-Stockes et de faible amplitude. J’ai voulu tâter son pouls, l’inciter à se redresser—sans la toucher— et à garder ses mains sur la table. J’ai été interrompu dans mon attitude par une injonction verbale des soignants, lancée de l’autre bout de la salle à manger.
La personne s’est affaissée au sol, sans que je vois vraiment comment, du côté gauche (opposé au mien) glissant/tombant de sa chaise. Plusieurs personnes dont des patients sont intervenus pour la ressaisir, interrompu aussi dans leur démarche par l’approche des soignants qui ont poursuivi de la relever. Puis, ils l’ont laissée là, lui intimant de se tenir et de ne pas faire « celle qui allait mal ».
Elle s’est de nouveau affaissée, a glissé de sa chaise, mains en avant, s’écroulant sur le sol. Les soignants sont intervenus, l’ont mise debout et l’ont fait marcher jusqu’à une autre salle.
Je n’ai pas vu ni entendu ce qui s’est passé ensuite, actif que j’étais à ranger et nettoyer le réfectoire. Mais plus tard dans le salon, j’ai vu qu’elle avait également glissé du fauteuil où elle avait été installée. Une infirmière s’est mise en demeure alors de lui prendre sa tension artérielle.
Je n’ai rien vu d’autre. J’ai regagné tristement abattu ma chambre où je me suis mis à écrire ce que j’avais vu.
Plus tard, la dame avait été guidée ? Transportée ? dans sa chambre… Il n’en a plus été question. Nous avons appris plus tard qu’elle est retournée aux urgences. Elle en est revenu avec une contention à la cheville, se déplaçant en fauteuil roulant.
Il ressort de cet épisode que plusieurs patients ont perdu de leur allant ordinaire. Nul ne parlait… que ceux qui ne parle toujours que d’eux-mêmes.
Une patiente ayant sa chambre proche de la mienne a tenté de quitter l’établissement, par réaction. Elle en a été dissuadée.
Je reste profondément affecté de tout cela.
Dimanche 3 au dimanche 10 2023
Harassée par une vie de fausses routes, par les vicissitudes de certaines rencontres, de certains passages et au bout du compte acculé au sentiment de n’y comprendre rien, il me faut prendre une décision raisonnable, sage autant que faire se peut.
Je me résous donc à rassembler mes bouts de vies éparses. Ce n’est pas très aisé.
Comme un vieillard le ferait de ses souvenirs, des objets témoins de ses jours, des photos empilées dans des cartons, planquées au fond de tiroirs, et de tant de choses qui ont un temps une place dans sa vie, et les trierait pour ne plus rien laisser à ses petits-enfants, arrières… et détruirait tout ce en quoi il ne se reconnait pas, j’ai vidé tous mes placards. Ceux de ma maison bien sûr, mais aussi ceux de mon esprit, ces archives indiscernables.
Je ne suis pas de ceux qui rejettent ou oublient ce qi a dérangé, blessé, attristé. Tout est bon dans la vie. Il suffit de savoir y lire le sens profond que les choses ont à charge de nous enseigner. Et trop souvent on attache de l’importance à ce qui d’emblée nous marque ou nous accueille et nous négligeons ce qui nous semble des petits riens. C’est une erreur. Tout fait sens. À nous, en notre conscience profonde, loyale, d’apprendre à en extraire le meilleur suc, ce nectar qui nous enseigne les faux pas passés et à venir.
Épurée de manière à n’en garder que le meilleur, je n’échappe pas pour autant à tout le reste, ne serait-ce qu’un frisson, le tri de tut cela. Ce que j’ai choisi d’en faire retiendra peu je pense l’attention. En revanche il y a lieu ce me semble de s’attarder sur toutes ses charges déplaisantes que je ne pouvais écarter, tenir loin de moi. Comment je m’en arrange ? Comment considéré-je ces fortes attentions à mon bien-être ?
Par périodes, j’ai partagé la vie de femmes ; certaines ont été mon épouse. Le sort dans lequel nous avons choisi de nous engager nous revient en propre. Il a été de notre propension à nous suivre, construire ensemble et déplacer les écueils que nous avons dû affronter ; de même, le choix très important des options à l’égard de nos enfants y a tenu une grande importance.
Et c’est là que, bien souvent, comme on dit, le bât blesse.
Toute mon existence est tournée vers un insigne besoin, celui de jamais opposer travers aux autres, sauf quand il s’agit de les partager, eux ou d’autres, sous le coup de leurs actions.
Or, dans un couple, les dissentions naissent de ces divergences de vues. En gros, celles issues des tenants de l’éducation « clé-en-main » et des tenants de l’éducation « découverte ». Cette seconde requière plus d’attention, de présence, d’ouverture d’esprit. D’où qu’il y a lieu de bien considérer l’affrontement du « maintenant » non contournant et inadaptable à « il y a sûrement une solution plus adaptées », plus appréhendable par l’autre, cet autre tout aussi bien enfant que l’autre parent ou un tiers.
Car, outre relations de voisinage, professionnelle, l’être comme le savoir être trouvent matière tout aussi bien à confrontation.
Et la femme, et l’homme d’en argumenter les raisons de l’ancestrale influence, des usages, du temps, pour se justifier de son bon droit…. Quand c’est l’esprit de la société qu’on a voulu malaxer, contraindre, éduquer aux canons de la représentation qu’on en sait.
Qui ?
Oui : Qui ! Car le fondement, la raison se pose là.
Ce qui a décidé et ordonnancé pour tout moduler sur la foi de justification qu’il y a à trouver point d’accordance en leur probité le nie.
Si une réelle nécessité d’influer sur le cours des choses s’était évertué à la plus probe des loyautés elle n’aurait jamais inventé d’effort pour défendre un point de vue en particulier. Une telle démarche aurait exposé les faits, proprement, loyalement et en aurait tiré les déductions et conséquences qui s'imposent. D'elles-mêmes.
Au lieu de cela, nombre d’arguments ont été choisis pour justifier la démarche qui allait s’en suivre, être mise en place, et donc décidée par avance de qu’il advint de droit.
Alors donc, quid des femmes ?
On leur a prêté des intentions. Non pas individuellement. Cela peut toujours se faire. Mais bien au contraire en faisant faisceau d’arguments habilitant ce qu’on souhaitait, hors appui de faits, leur inculquer de torts, de manigances… et de les inciter à épouser de telles revendications avant en général qu’on leur fournirait l’occasion de s’en défendre.
Mais c’est bien mal considérer l’appropriation que se font les foules des opinions toutes faites—et en tout état de cause le but recherché—. Ainsi les femmes ont agi ou réagi selon ce qu’on attendait qu’elles fissent. D’où de trouver là de plus pouvoir s’appuyer sur ce que « serait » leur mentalité.
Dites à une bête qu’elle ne sera toujours qu’une bête et il sera exceptionnel qu’elle s’extirpe de cette condition-là.
Si l’on observe bien qu’au cours du temps tout a été ourdi pour qu’une part moindre de femme siège aux instances—et l’on prenait grand soin de définir par avance qui seraient-elles, ce qu’elles soutiendraient—garanti a été assurée à cette société macho-phallocratique d’aboutir à ses fins. Et de scander ce qui depuis des lustres elles s’égosillaient par rues, par perchoirs et assemblées que ce n’était que là que ne pouvait se tolérer et se comprendre leur place.
Retirez toutes la fondation de tout cela, vous verrez bien alors que femme n’a rien à envier à l’homme quant à son aptitude à opter pour évolution de la société et donc de sa place et de son avenir.
Avenir assurément qu’elle se fera forte de transmettre à ses rejetons, ruinant du même coup chez son comparse les chances de mener l’envi à son seul avantage, de près comme de loin.
13 h 45 le Samedi 26 Août 2023
Parce que rien n’est pire, je crois, à l’esprit—et par là j’entends : TOUT LE MONDE, sans exception—chacun se doit d’agir. Et quand c’est possible, la personne elle-même, même si le plus souvent elle se trouve dans l’incapacité de le faire.
L’effondrement, c’est quoi au juste ?
Tout simplement le sentiment que rien ni personne ne peut rien pour endiguer l’épisode. Et c’est la tout le problème car la personne concernée, justement, s’effondre. Tout en elle cède. La personne ressent que rien ne peut l’aider, que même ses entreprises personnelles sont vouées à l’échec, pire, à l’inutilité. Et c’est donc fatal.
D’où l’extrême difficulté d’intervenir, d’aider, parce que la personne n’appellera pas l’aide, donc d’être présent. Parce que cela ne se devine pas. Les personnes les plus sensibles, les plus perceptibles des conditions d’existence d’autrui, celles qui ont, on a recours à cette appellation à propos je crois—et c’est irrationnel, mais ça existe—, la perception que « quelque chose se passe » et qu’il ne faut pas laisser passer ça.
« Ne pas laisser passer ça » ? Encore faut-il avoir conscience qu’à ce moment, cette période précise, une personne est en train de s’effondrer. Et il existe peu de personnes qui en ont la présence d’esprit et, hélas, le moyen immédiat d’intervenir.
C’est du recours d’un service spécialisé ? Dans l’absolu, oui. Hélas de nouveau, les personnes qui y œuvrent n’ont presque irrémédiablement pas le moyen de savoir que l’épisode est en cours. Il faudrait des détecteurs dédiés. Ils n’existent pas !
Autant les personnes exposées aux risques cardiaques, par exemple, sont parfois équipées de détecteurs connectés reliés aux services de secours, pour l’effondrement psychologique de la personne, cela n’existe pas ! C’est donc à l’entourage de chacun de savoir rester en alerte quand le risque existe chez quelqu’un et de s’assurer très régulièrement que la personne offerte se trouve particulièrement affectée ou à risque, se trouve présentement ou en possibilité de l’être.
Et là… Rares sont les personnes réactives, moins encore le sont celles qui sont susceptibles de l’être ou ayant pris conscience qu’elles se doivent de l’être, d’être vigilante, près de la personne, à l’écoute, par prévention, même.
Autant dire, en l’occurrence, qu’on accède à l’impossible. Pourquoi ?
Tout simplement parce que tout dans notre société enjoint chacun de pourvoir à des nécessités soi-disant impérieuses, immédiates mais pour elles-mêmes ou les membres de leur famille qui les côtoient quotidiennement. Grosse illusion !!! Diversion même qu’exerce notre modèle de société, ramenant les individus aux préoccupations de leur seule personne. Inductrices même, par voie de conséquence, des accidents, consécutives de l’effondrement d’une personne.
On pourrait s’inquiéter de chercher qui en est responsable ? Mais là aussi, c’est une diversion—très perverse—de la société car c’est la société elle-même qui détourne tout un chacun des besoins des autres. Sans compter qu’il est toujours aisé de désigner un coupable, un autre responsable.
Et donc, irrémédiablement, de vouer la personne victime d’épisode d’effondrement à un enfoncement encore plus fatal, déprimant à l’extrême, jusqu’à la mise en danger, dès lors, des individus concernés.
Que faire ? Se foutre totalement de ce à quoi la société nous oblige !!!
Hier, on était, plus ou moins, proches les uns des autres, facilement témoins ou à l’écoute de ce qui se passe au jour le jour. Et de pouvoir être là, accompagner, soutenir, être prévenant.
Et donc, là, partout, quelque part, à cet instant précis, quelqu’un subit l’effondrement. SEUL ! Dont moi.
Dimanche 7 Mai 2023
Il ne faut rien dire
Et certain d’y aller de leur diatribe !
Toi, tu regardes autour de toi. Toute ton attention est captée par une foule de petits riens qui bougent. L’un bien tranquillement, droit sur sa route. Celui-là musarde, s’arrête, comme happé de catalepsie, puis repart. Un autre furète, une fourmi qui court à son labeur. Celui-ci fonce, à croire qu’il va rater son bus. Là, c’est un papillon, assoiffé de sensations, il suce la vie, hiératique. À côté, cette petite chose tricote les secondes de sa vie, elle en fait une saga. Sur son banc, le vieux vacille, le port usé, las, balancé de droite à gauche, à suivre ce qui lui passe au-delà de ses forces. Plus loin, un forçat décroche les montagnes, il les pose plus loin, pas loin, juste là, mais il s’y donne comme s’il en allait de sa vie, va savoir pourquoi ; mais il faut reconnaître : c’est du bel ouvrage. Ton voisin, enfin presque, assourdi l’air d’un tapage de chaîne d’usine, à retourner les murs de son inconsidération, à poursuivre sa phobie ; il faut qu’on l’entende sinon sa vie n’a pas de sens. Le bon père tournicote, caquetant, ordonnant les piaillements de ses petits, en bonne mère poule. Cet autre hurle sa machine : la suspension du ciel impassible, tranquille comme un air d’été qui écrase tout, il ne le supporte pas, faut que ça braille, que ça bouge…
Oui, tout un cortège de petites gens, de petits riens pour qui la moindre chose est essentielle et ils le montrent, le font savoir.
Et donc, de-ci, delà, un harangueur, des passants étaient vendeurs à la sauvette, scandant l’énorme qualité de leurs marchandises. Lui n’a rien à vendre. Enfin si : des certitudes. Il occupe la place, l’espace de pensées parce qu’il sait que les autres, toi, vous n’avez pas conscience. On voit bien qu’il fait sa révolution. Il braille. Et face à lui, avec toutes les peines du monde pour se faire entendre l’édile essaie d’en placer une, voudrait ramener tout le monde à la raison, pas n’importe laquelle : la sienne. Enfin… si on veut, parce que ce qu’il tente de défendre c’est ce que ceux qui le nourrissent, qui l’ont propulsé là, l’ont sommé d’asséner à la valetaille. Il faut bien des décideurs pour impulser un sens au monde. Celui-là, justement qui fait que les choses sont là où nous en sommes.
Tu n’en as pas vraiment conscience. Ta tête oscille en dénégation. Tu balances en toi, assailli, écrasé de toute cette inconsidération.
Tu regardes bien, toi, le vrai des choses. Tu réfléchis avant d’agir, tu ordonnes la trace que tu veux laisser. Oh, sans bruit, parce que c’est cela qui, au vrai, s’impose, se tisse de cohérence. Mais tu ne dis rien. Tu sais que ça ne sert à rien et le peu que tu fais c’est en sorte de ne pas déranger les autres.
Tu as compris. Pour être efficace, il ne faut rien dire, sinon on t’interrompt.
Pour vivre la vie, pour être juste, il ne faut rien dire.
Vendredi 14 Avril 2023
Toute lascive, elle s’exhibe au soleil dans un abandon apparent, prend des poses artistiques, inondant également le regard de ses formes généreuses, véritable pied de nez à l’aridité ambiante.
Qu’on ne s’y trompe pas : elle fait des efforts désespérés pour tenir son rang. Toute plantureuse qu’elle se montre, elle souffre bien souvent de la rudesse des climats qui l’environnent. Et ses allures opulentes la font régulièrement oublier ; on la remarque… mais on ne l’abreuve, ne lui accorde pas toute l’attention dont elle éprouve par moment un grand besoin.
L’adage prétend qu’on n’offre guère de mannes qu’à ceux qui en ont déjà tant ? Il ne faut pas omettre de considérer que l’apparence est souvent trompeuse. Ainsi, en habit d’apparat, les comédiens et bien des artistes ne reçoivent pas l’écot qui leur est dû. Il en va de même pour les succulentes. En proies aux ardeurs du soleil, elles souffrent, se dessèchent, laissent s’évaporer leur superbe. Il en va de leur survie. Aussi se rident-elles, longtemps imperceptiblement, mais irrémédiablement. Qui voudrait se désaltérer à leur suc le trouverait bien chiche et très amer.
Les généreux et les tendres offrent tout semblablement leurs arguties captieuses et portent plus à faire accroire : l’opulence intentionnelle qu’ils déploient dissimule bien souvent leurs carences, en général affectives. Ils tendent aux autres ce qui leur fait le plus défaut. Et ce n’est pas l’envie ni le besoin qui les guident. Croyez bien qu’ils évitent à ceux qui font l’objet de leurs largesses toute l’âpreté qu’ils ressentent. Bon Samaritain, ils n’en sont pas moins dans la peine et ne veulent voir chez autrui ce qu’ils endurent.
Alors vous qui gardez près de vous ces belles qui vous contentent par leur grâce, leurs atours, avec toute la mesure, la délicatesse qui s’impose, ayez pour elles douces et tendres attentions. Et même si par leurs armes naturelles certaines vous paraissent aussi revêches, dites vous bien que ce sont de pauvres défenses et qu’elles se les infligent à l’aune des piques qu’elles dispensent.
Arrosez-les justement des plus belles humeurs de votre cœur : elles vous retourneront le leur en de belles fleurs.
Dimanche 9 Avril 2023
Souvent je demande quelle enfant avait-elle été. Espiègle, au moins un peu, je pense. De ces gamines qui jouent de leur situation de benjamine au sein d’une fratrie de 15 à 20 ans plus vieille qu’elle, mais difficile pour des parents bien trop âgés.
Il y a de fortes chances pour qu’elle fut en butte aux attentes de sa mère, plutôt bigote, intraitable quant aux usages, à la façon d’être qu’elle devait souhaiter discrète, mais aussi sujette à son attention bienveillante en tant que petite dernière dans une famille décimée par la mortalité d’enfants en bas âges.
Aux yeux de son père, être posé et attentif à l’égard des autres mais peu enclin à accéder aux attentes de sa femme, elle en était, je crois, la chère prunelle. Cette disparité entre les ressentis parentaux dût la porter à jouer de mésententes. Assez remuante, au grand damne de sa mère, de ses frère et sœurs, elle devait « user » les grands et leur inspirer quelques jalousies. Or rien n’est venu corroborer ces suppositions : à cette époque, dans ce milieu ô combien modeste, on ne parle pas de ces choses-là.
Je sais pourtant, de ses copains, ses amis, assez étrangement essentiellement des hommes, je sais qu’elle s’amusait de situations dans lesquelles elle se retrouvait et des positionnements de désir des autres à son égard… qu’elle n’hésitait pas avec un art consumé de la dissension à dresser les uns contre les autres.
Une chose est certaine : devenue adulte elle en a beaucoup usé. Elle a engendré des qui pro quo, inspiré des méfiances parmi ceux qu’elle a trouvé plus tard, quelle côtoyait, disant à l’un ce qu’aurait prétendu tel autre mais qu’elle avait ourdi de toute pièce, avec juste ce qu’il faut de vraisemblance… les gens se confrontant rarement, directement dans leurs ressentis respectifs, elle les avait influencés, teintés d’oppositions fallacieuses, posant les bases de futures zizanies. Cela est certain adolescent puis jeune homme, j’ai été témoin de ces manigances dont elle ne devait pas se douter que je les mesurais. Peut-être même qu’elle se contrefichait de ce que je pensais, me dictant par autorité parentale ce que je devais éprouver envers les autres.
Plus tard, elle a eu cette même attitude à l’égard de ceux de sa propre maison, éludant toutes questions quand elles lui étaient posées, arguant de propos ineptes, portant à faire accroire.
Et comme par ailleurs elle se faisait forte de bienveillance—quand cela pouvait lui être utile, ornementer son « blason », parfois prodigue de générosité—qu’elle était bonne ménagère, sachant recevoir, habile couturière, elle a longtemps profité d’a priori favorables. Du moins tant que ceux devant elle n’avaient pas eu à pâtir de son attitude ou eu connaissance de ses malversations relationnelles.
Il arrivait que ses intrigues soient mises à jour. Elle pratiquait alors le faux-fuyant, usait de dénégations quitte à taxer ses contredits de mauvais esprit.
Une Rouée vous dis-je, dont hélas j’ai subi l’autorité dans l’éducation que j’ai reçue. Et se défaire d’une telle influence n’est pas chose aisée…
Surtout quand elle vient de votre propre mère !
Jeudi 30 mars 2023
Il pose calmement son verre devant lui, le visage impassible, le regard dardé vers l’assistance, presque hautain, à l’affut d’une réaction de l’auditoire.
Juste avant de porter le verre à ses lèvres, avec la tranquille assurance qui semble l’habiller, toujours, il avait proféré une de ces assertions dont il est devenu coutumier. Pleine d’arrogance, elle dénotait un mépris marqué pour une catégorie de gens. Catégorie qu’il venait d’établir en fonction de comportements dans la population à l’égard du sujet qu’il défend, à propos duquel les unes des médias rivalisent d’ingénuité, volontairement sensationnelles, provocatrices aussi parfois, cause d’indignation d’un certain nombre de gens. Cela lancé, en avalant un peu d’eau, le regard voilé derrière le verre, il avait scruté dans l’assistance l’effet immédiat de ses paroles. Boire un peu était plus destiné à masquer un sourire narquois qu’il ne peut réprimer, dont il sait les plus mauvais effets, que pour se désaltérer dans cet espace surchauffé, ou pour se donner une contenance dont il n’a que faire.
Décider, c’est son rôle. Celui qu’il s’est alloué, au-delà de toute autre considération. Et il le fait sans vergogne, jusqu’au mépris à l’endroit des conseils que la cohorte d’assistants qui lui sont dédiés, qu’il n’écoute qu’en apparence, lui prodiguent avec précautions. Jamais on ne l’a vu afficher cette componction qui posait ses prédécesseurs lors d’une élocution ou d’annonces de décisions déplaisantes pour le plus grand nombre.
Avec lui, la fonction s’est affranchie des codes et précautions qui inspiraient confiance et respect à ceux qui gravitaient autour et parfois à la majorité des administrés.
Nul ne saurait dire qui lui a suggéré de tenter d’accéder à la fonction suprême. Moult supputations circulent. Il n’est pas rare de penser qu’il ait été propulsé là par les détenteurs des destinées de la planète, ceux sans qui rien ne s’érige, ne se décide, ne perdure jamais. Un certain nombre, sans l’avancer ouvertement, émettent que ses attributions antérieures lui avaient fait attraper la grosse tête. Certes, il est nanti de capacités peu communes, de compétences avérées, mais cela ne suffit pas, ordinairement, à porter à goûter aux plus hautes fonctions : il faut être, en quelque sorte, adoubé par la gent influente.
Personnellement, je crois que nous assistons à la progression inexorable d’une irrépressible pulsion vengeresse. C’est, aidé par le cours des choses, étayé par des compétence indéniables à la base—mais loin d’être extraordinaires—l’appropriation éhontée d’un outil de gouvernance dont il se sert pour prendre une revanche.
Contre quoi ? Le sait-il vraiment lui-même ? Les sentiments qui animent les désirs profonds des êtres ont parfois des origines absconses.
Or, de tout temps, cela fait le terreau d’où jaillissent les plus insatiable despotes !
Samedi 18 Février 2023
Elle a bien appris la leçon : tout doit sembler ordinaire. Ses goûts, ses attentes, elle a pris le temps de bien les policer. Surtout, elle ne doit en rien sembler extravagante et ses désirs se doivent de reposer sur une gamme raisonnable.
Depuis qu’elle est toute petite, on lui dit de ne pas se faire remarquer. Et comme elle l’a appris très tôt jamais elle n’a paru contrainte en quoi que ce soit dans ses choix, dans son attitude. De même, éduquée dans le bon droit de la politesse, de la correction, du respect, jamais elle n’a été prise en défaut. Elle a toujours eu ce côté petite fille modèle, facile à vivre, tout juste s’étonnait-on parfois des choses qu’elle faisait, ou qu’elle oubliait. Mais rien n’est parfait, n’est-ce pas, et
chacun a son caractère, issu d’on ne sait où. Oui, il lui arrivait parfois de dénoter dans la famille. Suffisamment pour qu’on se demande ce qu’elle allait bien pouvoir faire de sa vie.
Sa vie, elle ressemble à ces combats sans armes. Ordinairement dotée du baccalauréat, sans spécificité, elle a pris, çà, là, des emplois d’apparence purement alimentaire selon une expression consacrée. Plus tard, elle a obtenu un poste sans grande envergure dans une administration privée de gestion : profil professionnel fade par excellence.
Fade, elle l’a également toujours semblé socialement. Non avertie des finesses des relations entre les gens de la petite ville où elle a toujours vécu et bien imprégnée de la nécessité de « ne faire tache » en rien, elle semble quelconque. Ce n’est pas qu’elle est contrefaite, son physique a toujours eu un côté « passe-partout ». Bien que passé un certain âge il se fait d’opter pour une coiffure raisonnable et facile d’entretien, elle a longtemps gardé les cheveux longs. Cela lui a valu la convoitise de quelques gars fantasmant sur la chose, la faisant paraître un peu « babacool », quand bien même cela était depuis longtemps tombé en désuétude.
Sa vie affective a été morne, plutôt instable, assez vide pour tout dire. Elle n’était pas même de ces filles que leurs relations cherchaient à caser. Dans la « société », elle a pris l’habitude de se fondre dans le décor.
On ne saura jamais si cela lui coûtait, si elle a un jour rêvé d’une « situation ». Elle a assumé quelques aventures qu’elle a mis un point d’honneur à dissimuler à son entourage.
L’âge avançant, elle a pris ombrage du peu d’intérêt qu’elle suscitait mais n’en fit part à personne. Psychologiquement, elle a été de ces jeunes femmes fragiles, aux accidents de vie alarmants, tendance qu’elle a appris à cloîtrer dans un maillage de sa vie quotidienne : elle a fait en sorte de n’avoir jamais à se confronter à l’imprévu. Elle en aurait été déstabilisée, maladroite en apparence et maladive par conséquence.
Sa vie est devenue tout un attirail de rituels frisant le trouble obsessionnel. Peu docile qu’elle est devenue, fort peu dégourdie face aux aléas, elle s’est édifiée une forteresse, bardée de remparts de toutes sortes. Elle a eu, avec l’habitude, le don de rendre tout cela très naturel, toujours dans l’optique bien appris de ne jamais faire de vague. Et toute personne l’abordant, souhaitant cheminer un peu avec elle a été amenée à bien correspondre au moule qu’elle proposait mais l’adoptant de façon inconsciente, mue simplement par l’embryon de désir qu’elle avait pu susciter. De plus, quand cela lui a convenu, elle a su parfaitement tirer parti de l’aubaine.
Elle aurait pu vivre agréablement… si elle n’avait conçu par obsession et phobies, un certain nombre de blocages.
Cela a été sa pierre, son fardeau. Aucune relation n’a survécu à l’ourdi qu’elle éprouvait le besoin de mettre en place pour ne pas « exploser » devant l’aléatoire. Ceux qui la prirent en amitié, les quelques relations sentimentales où elle a pu s’aventurer ont implosé en plein vol, la renvoyant sempiternellement à sa piètre condition.
Or, les écueils s’accumulant, elle en prit l’habitude ; toute fidèle à son habituelle « construction d’apparence », elle trouva vite le moyen d’y apparaître comme victime, s’arrogeant moult compassions.
Tout compte fait, nombreux sont ceux qui la considèrent comme une brave fille, d’un commerce loin d’être désagréable, surtout s’ils ne sont jamais confrontés à ses manies, ses rituels…
Il y a fort à penser que la vie vienne à l’ensabler sous les gravas de ses désastres personnels accumulés. Et il est à craindre que, percluse d’effort pour se confronter au monde pour lequel elle n’est en rien faite, elle décide un jour de s’évanouir dans les combles de la société.
De quelque façon que ce soit !
Dimache 12 Février 2023
Le temps n’est pas au plus mal. Il a été plus dur. Il n’est pas encore souple qui fait l’herbe bien claire. On a juste l’impression qu’il va y venir.
L’homme est chez lui. Il compte le temps qui passe. Il n’a pas besoin d’heure à la pendule, ni au poignet. D’ailleurs, il n’a jamais l’heure au poignet. Mais il sait. La durée du temps qui passe. Il a appris, c’est tout. Il l’a appris dans la grande course de la lumière qui s’efforce au voyage tous les jours, quel que soit le poids de l’air. Ça n’est jamais vraiment pareil, jamais non plus franchement différent. Il a de l’âge et avec il a appris.
Pour aller d’une heure à l’autre, il fait. Tout est dans l’ordinaire et rien ne le porte. Il fait juste le nécessaire. À l’heure.
Certains jours il a besoin de la caresse de l’air alors il sort. Il pourrait rester sur le pas de sa porte comme beaucoup. Il n’aime pas : ce n’est pas suffisant. Il tâte le temps qu’il y a avec la peau. Là, pas autant, le temps garde du dur un peu. Il tâte avec son souffle. Il fait aller l’air dedans, dehors ; au bout d’un peu il sait, en gros. Là, il tâte avec le nez. Pour cela il va derrière. Dans la rue, le nez il ne renseigne pas vraiment, il se fait trompeur. Ça sent surtout les gens. Ils passent avec les voitures, à pieds, ils essaient à vélo à certains jours ou il y a ceux avec les machines. En raison de cela, le nez ne renseigne de rien. Il va derrière. L’air est libre. Là l’air est vrai. Alors, avec le temps qu’il faut il arrive à savoir. Demain sera mou ; peut-être, mais ce n’est pas de suite, il aura l’eau. Il faut attendre encore. Et maintenant on attend parfois longtemps. Les temps sont faits qu’elle aime se faire vouloir. Ça a changé : elle avait l’habitude d’être plus franche, plus docile. Il faut qu’il y ait l’eau, ça fait besoin. Mais c’est sûr, le temps prend du mou, un peu.
Aujourd’hui, l’homme est satisfait : le monde, le sien, va commencer à bouger. Alors il va vivre, juste un peu au début, l’important est que ça commence à bouger. Il se sent mieux.
Les autres ne comprennent pas. Pour eux, « l’Autre » c’est lui—c’est comme ça qu’ils disent de lui, et ils lui disent « Il » —ça vient du début, quand il est venu. Il ne faisait pas la vie que les gens font. Ça n’a pas changé, alors ils l’appellent « l’Autre ». Le mot est resté. Jamais devant lui, bien sûr, mais jamais assez loin pour qu’il n’entende pas non plus. Ils ont eu du mal au début : il fallait qu’ils regardent tout ce qu’il vivait. Et comme il ne vivait pas ce qui est et qu’il n’a jamais vraiment changé ils n'ont plus trouver moyen de dire. Il aurait fallu beaucoup. Et à l’Autre ils ne tendent pas grand-chose, alors beaucoup… ils ne voient même plus. Sauf quand il passe devant eux et ils disent « l’Autre » pour dire qu’ils l’ont vu.
Lui il fait. Il ne regarde pas la vie des gens. Il n’en a pas besoin. Il voit après ce qui est, bien obligé, c’est fait. Tous les jours demandent au moins un peu, très peu l’hiver mais quand même, après il fait plus. Il s’y met avec des gestes tranquilles, des gestes qui vont bien au bout, avec sa force, elle fait bien pour ce qu’il a besoin, un peu moins avec le temps mais elle fait toujours. Ça vient au moment que le temps lui dit et quand le temps est bien tendre, bientôt donc, qu’il suit bien la lumière jusqu’à tôt le matin et tard le soir, alors il fait plus. Et il apprend tous les jours. Ça lui plait bien.
Il ne sait pas ce qu’en pensent les gens autour qu’il cherche toujours à apprendre. Sûrement ils trouvent que ce n’est pas bien utile. Il y a déjà tout ce que l’on sait pour faire. Pourquoi plus ? Mais lui il a besoin.
Et quand il faut, quand la vie dérange les gens, leur retire leur habitude, s’ils lui demandaient, il saurait leur dire, au moins un peu. Seulement ils ne veulent pas. Quelqu’un qui sait ? Et pourquoi faire alors ?
Oui, mais il sait, un peu, un peu plus tous les jours et avec ça il vit et il fait ce que la vie lui attend. « L’Autre ». Comme ils disent.
8 Février 2023
(reprise du 04/02/2023)
Le petit square de la ville, rare carré de verdure généreuse au cœur de l’entrelacs urbain chatoie sous les rayons obliques d’un soleil qui refuse d’abdiquer sous le joug de l’heure, non plus devant octobre.
Elle est assise en tailleur sur la pelouse-interdite—et se laisse gagner par le reste de tiédeur, dolente ravie d’improviser mentalement sa musique à l’unisson des pépiements autour d’elle, entre gouttelettes dans les branches et tempo des cris venus de l’aire de jeux. C’est la vie bien présente qui cède à son esprit, à son cœur. Non loin d’elle un jeune couple discute vivement, mais pas trop fort heureusement, assis sur un banc. C’est lui surtout qui palabre. La jeune femme semble comme écrasée par les arguments qu’il profère. Elle n’entend pas vraiment ce qu’ils se dit. Mais elle sait tout son refus de ressembler un jour à cet être diaphane, ligotée en apparence par les propos.
Elle a choisi de vivre seule. Elle souffre trop d’assister à ce genre de scène, tout autant de voir ses copines, ses amies, sa sœur même, se démener dans leurs vies de couple. Plaire ! C’est à croire qu’elles ne saisissent pas le sens profond du mot. Elle les comprend vivre de contorsions en effacement de soi, pour plaire à ces êtres qui les mènent, s’étiolant en concessions devant ces compagnons de vi qu’elles dénoncent pour elles-mêmes autoritaires, exigeants, petits coqs dardant leurs ergots en guise de geste d’amour. Elles plient à leurs injonctions sentimentales, pour la bonne cause. Cette sorte de bienséance lui semble tellement artificielle !
Elle, elle préfère offrir son cœur à l’enfant qui, pausant un instant sa fantastique épopée, lui adresse un sourire tout dressé d’innocence, à lui qui l’espace de quelques secondes a oublié la conquête au cœur du jeux pur lui offrir cette attention simple, la caressant du regard comme il l’avait fait d’un geste tendre pour un animal passant à sa portée, parce qu’elle existe, en étant là, tout simplement.
Le vent qui peigne doucement la longue chevelure du saule ne prétend pas qu’il lui appartient. Il s’arrête seulement pour un peu de tendresse, sécher ses pleurs, le débarrasser de la broussaille inextricable de ses feuilles tourmentées. Et tant pis si le vent court aussitôt après dispenser ses folies au charme que l’automne commence d’étioler. C’est ce tourbillon-là, insensé, qu’elle veut bien partager, toute au plaisir de se laisser bousculer un frisson que d’autres de toute façon ne sauraient demain réitérer.
Elle préfère l’embaumement éphémère du pétrichor que la pluie inspire à la terre, si sèche d l’avoir attendue, cadeau volatile qui imprègne la mémoire de qui la rencontre.
Elle ne veut rien de ce parterre bien soigné qui lui tend ses brassées de fleurs au prétexte qu’elle est jolie, qui voudrait qu’elle chaque jour exhausser son besoin d’admiration, de lancer son intention… Un homme dans sa voie, oui, peut-être, mais un fou, un peu sauvage, qui lui parle du voyage dont elle n’a pas fait partie mais où son imaginaire l’avait la rencontrer sans l’avoir même jamais vue et qui la projette, là, dans sa réalité. Oui elle veut bien être un mirage qui inopinément se matérialise et ne laisse que le souvenir étonné de cette croisée opportune. Oui, demain, encore, la foule du métro les tiendra collés-serrés, l’espace du temps entre quelques stations, luttant pour que dure encore un peu le subreptice frisson… et garde tant au cœur qu’à l’esprit que tout sera encore possible une autre fois, surtout pour peu que ni lui ni elle ne s’y attendent.
Après tout, le partage peut se vivre hors l’omniprésence et la fidélité s’inscrire dans l’assurance que le plaisir sera tout aussi fort dans cet hypothétique demain.
La vie est une source qui ne se tarit pas si on refuse de la garder dans la roideur d’un canal qui draine plus sûrement les miasmes des certitudes que le fol tourbillon d’une grève de rencontre, inconfortable mais tellement plus parfumée d’aventure…
Elle ne signera jamais, au bas d’un formulaire d’une rencontre, des mots, des gestes qui la condamnerait dans une trop triste certitude.
Le 31 Janvier 2023
Tout à son monde
Assis sur la marche de pierre il est penché en avant pour permettre à ses petits bras d’œuvrer à ce qui l’accapare. À ses pieds, tout un tas de gravillons et de petits cailloux semblent jetés là, éparpillés au hasard… Hasard ? Pas tant que cela !
Du haut de ses trois pommes, il a entrepris de construire tout un petit domaine. Le sien, à sa mesure, selon son imagination. Ces éparpillements de ces sortes de gravats à ses yeux sont bien autre chose. Il y a des murs, des chemins, des bâtisses aux rôles très précis, ceux qu’il leur donne. Ah bien sûr les bâtiments n’ont pas de toit. Il ne sait pas encore comment les réaliser. Mais cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, pour lui, c’est ce qu’il voit de ce qu’il a fait et que cela corresponde très exactement à ce qu’il a souhaité, ou, chemin faisant dans son jeu—qui n’est pas un jeu pour lui—au fur et à mesure à ce que lui suggère son imagination. Et tout va très bien. Ça fait un bon bout de temps, pour lui, qu’il y est affairé. Il y est très absorbé.
Ce qui se passe autour de lui ? Il ne peut pas dire qu’il n’en a pas conscience. Il y a du bruit, un peu de mouvement, des êtres de toutes sortes, de toutes tailles qui évoluent selon un ordre très précis… Mais tout cela lui est bien égal. Après tout, ce qu’il fait, on ne lui en demande pas la raison. Pourquoi donc irait-il s’inquiéter de ce qui meut le reste du monde ? Est-ce qu’il demande pourquoi ils font ci ? Pourquoi ils vont là ? Et tant qu’on ne vient pas l’interrompre, lui, avec ce genre d’interrogation, tout est pour le mieux pour chacun.
Évidemment : il sait qu’il est assis sur une marche, en pierre, peu importe, devant la porte, lieu de passage assez fréquent d’un certain nombre de gens. Ses parents (mais ils sont occupés ailleurs), ses frères et sœurs (mais ils sont soit trop petits pour se déplacer seul, soit ils sont à l’école). Un voisin ? Oui, cela peut se faire. Il l’a déjà vu. Mais ce n’est pas le cas actuellement…
Et puis, il saura bien lui dire si l’autre prétend « qu’il gène à jouer dans le passage » que ce n’est pas son affaire et que de toute façon il ne joue pas : il construit ! Quoi ? Cela ne le regarde pas, l’autre. Est-ce qu’il a l’intention de lui donner un coup de main ? Non : plutôt l’inverse puisqu’il dit qu’il gêne !
Mais il est haut comme trois pommes, il œuvre à quelque chose de considérable et il entend bien qu’on ne l’y empêche pas. Na !
Non mais !
Le 22 Janvier 2023
Ce n’est pas un bourg très important. Jusqu’à il y environ une quarantaine d’année, tout le monde se connaissait. Au moins un peu. C’était avant que je vienne y habiter.
Quand je l’ai découvert, on peut dire que je m’en suis épris. Rural, essentiellement agricole, il épousait suffisamment les contours de ce que je concevais comme de lieu de vie : relative proximité des gens, leur part d’originalité, l’esprit un peu communautaire qu’entretenaient la plupart des habitants…
Certes, j’arrivais en « étranger ». Si je voulais m’attirer en bonne part l’attention des gens, il me fallait m’investir un minimum dans leurs centres d’intérêt, respecter leurs usages, leur apporter un peu quelque chose. Mais au sens de bien d’entre eux, j’étais un « original ». Autant dire, outre de venir d’ailleurs—et on ne savait pas d’où—je ne « collais » pas à leur monde. Tant que je ne dérangeais personne, ni l’esprit de corps des originaires, une place pouvait m’être faite, précaire mais réelle, tant que je comprenais que je n’avais pas vraiment le droit à l’erreur.
Or, si les gens de terroir apprécient qu’on aime leur cadre de vie et pour peu qu’on ne le griffe pas, ils ne sont pas du tout enclins à se laisser aimer. Cela est réservé à ceux du coin et des proches alentours.
Alors, forcément, je commençais par une fausse note : je les ai très vite aimés, ensemble et individuellement pour la plupart. Ils m’opposèrent donc rapidement une distance. Et si l’on voit bien que je parvenais, par suite, à lier des contacts cordiaux, voire amicaux, avec ceux d’entre eux qui n'étaient pas vraiment originaires (du moins depuis suffisamment longtemps) on comprend que je me sois attiré une certaine suspicion qu’ils eurent à cœur d’entretenir.
J’ai eu beau m’investir dans la vie associative (et venant d’ailleurs j’ai eu le tort de tenter d’y œuvrer plus que l’acceptable), côtoyer leurs habitudes, m’intéresser à leurs centres d’intérêt, je m’approchais trop de leur quotidien privatif, y compris dans le cadre collectif, pour recevoir leur agrément, aussi bienveillant et respectueux à leur égard je fusse. Et comme les évènements de ma vie m’ont transporté quelques temps ailleurs, sorti de leur horizon, de leur domaine de « surveillance », autant dire qu’à leurs yeux je me suis exclus tout seul de leur communauté.
Un peu de temps a passé. J’ai eu le bonheur de pouvoir revenir vivre dans le village, de façon plus définitive.
Mais j’ai commis, aux yeux de la plupart, quelques erreurs. La première : je suis devenu propriétaire d’une maison ancienne du bourg, très proche du cœur à plus d’un titre. Je me suis accaparé, en quelque sorte, d’une part de leur patrimoine. Peu leur chalut que nul n’avait guigné jusque-là la bâtisse—peut-être un peu trop chargée d’histoire dérangeante—je mettais le pied dans un domaine réservé, occupais d’une certaine façon une place géographiquement trop centrale à leur goût.
Certains—voisins pour l’essentiel—se sont montrés acrimonieux, puis dédaigneux. Les autres se fiant ordinairement aux appréciations des plus proches, ils ont sensiblement opté pour une attitude similaire, moins visiblement « dérangés » toutefois par ma présence. Quant à « mon retour »… Il n’a guère été noté que par ceux qui m’avaient le plus côtoyé lors de mon séjour précédent.
Je n’aurais été qu’en villégiature, tout aurait été différent. Cela fait vingt ans que j’habite le bourg. Le m’autorise—et encore on m’y a invité-seulement maintenant à m’approcher de la vie associative, me gardant d’investir la plus prépondérante dans leur vie courante des gens du lieu. Cela me « resocialise » un peu, au moins auprès de la petite communauté—quoi que grandissante—des introduits. Il n’empêche que je n’ai pas droit de cité. Sans m’approprier les paroles d’une ritournelle du cher Georges Brassens, j’avoue aujourd’hui tenir les « autochtones » et leurs alliés en part bien moyenne. Mais qu’on ne s’y trompe pas, tout cela ne me ressemble pas : c’est bien pour me protéger, non dans le but de leur en tenir rigueur.
Si nul n’est prophète en son pays, sus à celui à qui on prêterait de vouloir le devenir dans le leur !
Le 8 Janvier 2023
L’homme se réveilla juste à la limite, avant de mettre le pied au-dessus du vide. Derrière lui, le chemin du sommeil l’avait porté jusque là. Marchant, il dormait.
Il emportait avec lui l’enfant, depuis longtemps. Derrière l’homme, et donc derrière l’enfant, il y avait toute une foule de gens qui marchaient aussi. Ils marchaient après lui, et c’est bien là qu’était le problème : il était devant et ils ne le supportaient pas. Alors, le pressant, ils l’ont contraint à prendre ce chemin-là.
Ce n’était pas vraiment le chemin qu’il souhaitait emprunter. Aussi, malgré la pression qu’on lui opposait, il tentait sans cesse de marcher au plus proche du chemin que lui voulait prendre. Et c’était pour l’enfant que ce soit ce chemin-là.
Toute sa pugnacité résidait là : qu’on l’incitât à prendre une autre voie que celle à laquelle il avait pensé n’avait en soi pas une très grande importance. La vie c’est cela. On pense se rendre quelque part et on est porté à aller ailleurs. Parfois pas très loin, parfois à des lieues de l’endroit qu’on se destinait. L’important est de rester fidèle à ce qu’on voulait atteindre, tant que c’est la vie qui nous guide.
Mais, quand comme lui, on a choisi de porter la responsabilité de mener un enfant, cela change tout. Et il est injuste que des gens vous infligent de choisir un chemin, une direction, une destination pour l’enfant, quand bien même ils ne sachent pas que c’est pour l’enfant.
Et puis, en quoi cela les concerne-t-il ? Vous, c’est l’enfant qui vous inspire, vous indique la direction, la destination. C’est cela le plus important.
Acculé, porté au bord du vide, contraint, ne discernant d’autre voie, de continuer d’avancer dans le vide, cela est insupportable.
Tout près du chemin emprunté, il y avait un fourré, mélange de buisson et d’arbrisseaux. Il avait de l’avance sur les gens, sans qu’ils le sachent, peu leur importait puisqu’ils étaient persuadés qu’il serait contraint au seul chemin s’offrant à lui : le vide.
Alors, il dissimula l’enfant dans le fourré et lui dit :
« Tu ne bouges pas, tu ne fais pas de bruit, il ne faut pas qu’ils sachent que tu es là. Quand, ne me voyant plus, ils penseront que j’ai été contraint d’avancer dans le vide, ils s’en iront. Mais le vide ne doit pas être pour toi. Tu m’as porté à choisir le chemin pour toi, ce chemin ils ne le voulaient mais ils ne savaient pas que c’était pour toi que je le prenais. Alors le chemin qui te tient à cœur, tu vas le poursuivre. Après, lorsqu’ils seront loin. Il n’y a que deux différences : ce sera uniquement le chemin que Tu choisis. Directement. Et deuxièmement, ils penseront qu’ils ont réussi à me faire suivre le chemin qu’ils me destinaient. Que le vide soit pour moi n’a aucune importance et tu ne dois pas y penser. L’important c’est ta voie, pour Toi, et que personne d’autre ne t’y empêche, ne t’en détourne ».
La voie de l’homme était de guider l’enfant à la destination que lui, l’enfant, souhaitait. Il ne l’a pas mené au bout et c’est bien : l’enfant fera sa propre part pour y parvenir. Et peu importait que l’enfant changeât de destination ensuite si c’était lui qui décidait.
L’homme, lui, n’avait plus que le vide. Il reprit d’avancer et s’endormit. Plus rien ne le taraudait, le sommeil pouvait l’engloutir.